Le dirigeable n'arrête pas de renaître
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Les rapports sur le dirigeable se multiplient et militent depuis des années pour son grand retour. En particulier dans le monde du fret.
Mais cela nécessiterait des investissements massifs qui n'arrivent toujours pas.
En 1937, l'incendie du Hindenburg semble sonner le glas du dirigeable. C'est l'accident de trop. Et la fin des vols commerciaux. Mais soixante-dix ans plus tard, on s'interroge : le géant des airs ne pourrait-il pas finalement refaire surface ? Il y a quelques mois, la région Île-de-France se posait sérieusement la question en confiant à Ernst & Young une étude sur le sujet. Conclusion : «
Il y a plus d'acteurs intéressés que ce que l'on aurait pu penser », déclarait Jean-Marc Brûlé, conseiller régional en charge du développement durable lors de la remise du rapport. Trop lent pour transporter des passagers, le dirigeable gros porteur (DGP) pourrait trouver sa place dans le monde du fret grâce notamment à une consommation énergétique nettement inférieure à celle de
l'avion. L'évolution du prix du carburant et le goût nouveau pour tout ce qui touche à l'écologie justifient ce regain d'intérêt. Mais sa capacité à transporter du matériel lourd et volumineux est toute aussi séduisante.
Airbus attend plus de maturitéUn bémol toutefois. Ce n'est pas la première fois que l'on annonce le retour du dirigeable. Sans remonter trop loin, les études se sont multipliées depuis une dizaine d'années. En 2001, le centre français de recherche aérospatiale (Onera) rendait un rapport au ministère de la défense sur la faisabilité scientifique et
technique d'un dirigeable gros porteur. En 2002, l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne étudiait quant à elle son marché potentiel. Les charges lourdes et volumineuses sont en forte croissance et pourraient l'être davantage grâce au DGP : plus besoin d'assembler sur site des machines que l'on peut transporter
d'une pièce ! En 2003, c'était autour du ministère de l'équipement de commander son rapport à Urba2000 pour identifier les problèmes à résoudre pour que le dirigeable puisse être conçu, fabriqué et exploité à grande échelle...
Mais si les études s'accumulent, les projets concrets se font rares. Et chez les clients potentiels, on ressent une certaine lassitude : «
Cela fait près de vingt ans que l'on s'y intéresse, mais ce n'est toujours pas mature », regrette Thierry Larroque, vice-président d'Airbus en charge de la supply-chain, de la logistique et des transports. L'avionneur a très sérieusement étudié la possibilité de l'utiliser pour véhiculer les pièces de
son A380 de ses sites de production disséminés en Europe à Blagnac où se fait l'assemblage.
Sur le papier, le recours au dirigeable permettait de concevoir des composants hors gabarit pour les avions cargos ou le transport terrestre. Et les phases de vol ne posaient a priori pas trop de problème : «
Dès que l'on a saisi le principe de la poussée d'Archimède, on comprend facilement que cela fonctionne d'un point de vue théorique », lance Thierry Larroque. Mais trop de questions restaient en suspend : «
Comment se passe par exemple le chargement et le déchargement d'ensembles de près de 150 tonnes ?
Nous avons regardé ce qui existait dans les universités et chez certains fournisseurs, mais nous n'avons pas eu la démonstration que cela marchait ».
Comme tous les industriels qui s'intéressent à ce mode de transport, Airbus se pose aussi des questions relatives à la sécurité des pièces transportées, voire à celles des habitations que survoleront les dirigeables.
Un grand paradoxe Ce sont justement ces limites que soulevait l'étude d'Urba2000 en 2003. En insistant sur la nécessité d'étudier encore une multitude de paramètres : la résistance aux intempéries, l'enveloppe textile, le système
d'accrochage, la motorisation, le système de ravitaillement ou de stationnement... « Le dirigeable ne trouve pas aujourd'hui l'environnement qui lui est nécessaire » soulignait-elle. Reste aussi la nécessité de former un
personnel pour la navigation et les transferts de charges (le dernier cours d'aérostatique a été donné en 1945 !) et d'adapter la réglementation aérienne :
la co-existence avec les avions ne devrait pas poser de problème dans les phases de vol, mais la gestion des décollage et des atterrissages s'annonce plus complexe. Le choix du gaz porteur est enfin un élément clé. L'hélium est rare et cher. En dix ans, la consommation a progressé de près de 100 %, alors que les réserves connues n'augmentaient que de 16 %. L'hydrogène est quant à lui très inflammable.
« Il devra être réhabilité aux yeux de l'opinion », soulignait l'étude.
Le géant des airs se trouve face à un paradoxe. Son avènement permettrait de détourner une partie du trafic routier et d'économiser des travaux d'infrastructure parfois nécessaires au transfert des lourdes charges. Les entreprises pourraient par ailleurs simplifier leurs processus de fabrication puisque, bien souvent, elles conçoivent des machines en plusieurs morceaux en prévision du transport... Sauf que ces clients potentiels ne sont pas prêts à modifier leurs habitudes s'ils n'ont pas une confiance totale dans le dirigeable. Le marché ne peut donc exister que lorsque l'offre sera mature.
Mais comment arriver à cette maturité sans avoir un seul client ? Cette problématique est évidemment celle de toute l'industrie... mais ici, les investissements nécessaires et les risques encourus sont tels que tout le monde
préfère y réfléchir à deux fois avant de se lancer !
Boeing plus audacieux que son homologue européen Après plusieurs faux départs, il n'est pas dit pour autant que le DGP soit voué à rester éternellement dans
des cartons. Le Meeddat (ministère de l'écologie) promet de s'entourer prochainement de nouveaux collaborateurs spécialisés. Et dans le secteur privé, plusieurs gros industriels commencent à investir dans la technologie. Parmi eux, on trouve Boeing. En août dernier, le concurrent américain d'Airbus a signé un
accord avec la société canadienne SkyHook pour développer le gros porteur JHL-40 (Jess Heavy Lifter).
Cliquer pour agrandir
(légende) Développé par SkyHook
et Boeing, le dirigeable gros porteur JHL-40 sera testé en 2012 dans les zones
reculées du Canada. Avant d'entrer en phase de production en
2014.Le dirigeable devrait être capable de transporter des charges de 40 tonnes dans les régions les plus reculées (Arctique, Alaska) et dans les environnements difficiles. Et ce, d'après les deux associés, dans des
conditions de sécurité inégalées.
« La liste des clients en attente pour les services de SkyHook est vaste, et ils soutiennent avec enthousiasme le développement de la JHL-40 » n'hésitait pas à déclarer Pete Jess, SkyHook président et chef de l'exploitation à l'occasion de la signature de l'accord.
Tout en soulignant le côté écologique de ce projet puisqu'il évitera la construction de nouvelles routes dans des zones aujourd'hui protégées. Et on ne parle plus cette fois-ci d'échéances incertaines :
« le prototype devrait être prêt en 2012, annonce-t-on chez Boeing. Les essais en vol et la certification des autorités aériennes canadiennes sont attendus en 2013. Et la production commencera dès 2014 ». Olivier Descamps