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    Détresse sur le Pacifique


    eolien
    Whisky Quebec


    Détresse sur le Pacifique - Page 2 Empty Re: Détresse sur le Pacifique

    Message par eolien Lun 22 Déc 2014 - 22:53

    17 ème épisode :

    A l’avant de l’avion, les passagers provenant de la cabine devaient escalader l’amoncellement de bagages pour atteindre la porte.
    Roland prit par le bras la première personne qui se présenta et lui demanda de se glisser dans l’ouverture puis de se laisser tomber dans l’eau. L’homme hésita, car il fallait se pencher puis s’allonger pour enjamber la porte qui n’était que partiellement ouverte tout en affrontant la tempête qui mitraillait de sa furie l’espace entrouvert, l’arrosant de grosse gouttes de pluie mélangées à des gerbes d’eau de mer. Une fois l’obstacle franchit dans une position inélégante, ce serait la chute à l’extérieur, dans le lagon que la nuit et la tempête ne permettait pas de voir.
    Les consignes que lui avait donné l’hôtesse lui revinrent en mémoire.
    « S’il le faut, utilisez la force, poussez sans ménagement ceux qui hésitent ».
    Sans plus hésiter il saisit de sa main libre la chemise du passager et le contraignit à se pencher sur la porte, le poussant sans ménagement.
Par un réflexe idiot, le passager voulut se raccrocher au chambranle. d’un geste vif Rolland lui saisit le poignet et le fit basculer à l’extérieur.
    Aussitôt fait il se retourna pour attraper le passager suivant à qui il fit subir le même traitement.
    Ainsi, il agrippait les passagers pour les jeter à l’eau et son geste devenait de plus en plus naturel et efficace au fur et à mesure que femmes et hommes se présentaient devant lui. Il nota au passage des visages ensanglantés, des passagers titubant, raidis par la douleur, certains s’entraidant, les plus valides aidant les plus amochés. Les bagages amoncelés étaient un filtre qui ralentissait l’évacuation. « Fort heureusement, nota Roland, ils sont blessés à la tête ou au cou, ce qui ne les empêche pas d’évacuer… »
    Malgré tout, le rythme était lent, car il fallait aider la personne à se hisser sur la porte à peine entr’ouverte, à s’allonger, puis la pousser sans ménagement pour la faire basculer à l’extérieur. le bruit du vent était tel qu’il n’entendait pas le bruit de la chute. Il faut dire que l’avion étant à présent bien enfoncé le plongeon n’était qu’un affaissement de quelques dizaines de centimètres.
    Roland prit un instant pour regarder au-dehors. Dans la pénombre, il voyait les gilets jaunes disparaître rapidement dans la nuit et la pluie, poussés par le vent, s’éparpillant au hasard de la tempête.
    En se penchant pour prendre un meilleur appui, il constata que l’eau lui arrivait à présent aux genoux : l’avion coulait.


    Après s’être dégagée madame Tautura remarqua que plusieurs passagers étaient groupés vers l’avant de la cabine et les autres carrément entassés à l’arrière. Elle allait faire comme eux et s’apprêtait à se joindre à la file lorsque son regard fut attiré par un mouvement.
    Sur un siège proche, un jeune garçon se tordait le coup pour observer la scène. Il essuya d’un revers de main un filet de sang qui zébra sa joue. Une affichette pendait sur sa poitrine, en partie masquée par le gilet de sauvetage, badge que madame Tautura reconnut et en déduisit que cet enfant voyageait seul. Elle lui tendit la main :
    - Viens avec moi, souria-t-elle, nous allons quitter l’avion !
    Le garçonnet se glissa auprès d’elle et madame Tautura lui prit la main.
    - Comment t’appelles-tu ?
    - Augustin.
    Madame Tautura se pencha et murmura à son oreille :
    - C’est un joli prénom.
    En se redressant elle ajouta :
    - Tu voyages tout seul, comme un grand ?
    - L’hôtesse avait dit à un monsieur de s’occuper de moi, mais il était blessé et il m’a oublié …
    - Tu sais qu’il ne faut pas gonfler nos gilets tant que nous sommes dans l’avion. Tu sais nager ?
    - Oui, très bien, affirma son protégé en hochant la tête avec assurance.
    Serrant fermement la main d’Augustin, madame Tautura reprit sa place en dernière position du groupe qui s’agglutinait à l’arrière de la cabine du Fairchild.
    Le jeune garçon tira sur sa main pour attirer son attention et désigna ses jambes à-moitié immergées :
    - Il y a beaucoup d’eau dans l’avion … laissant sa phrase en suspens.
    - Ce n’est pas grave, répondit madame Tautura d’un ton rassurant, certitude qu’elle était loin d’éprouver. Nous allons bientôt sortir.
    - Alors pourquoi on avance pas ?…
    Jetant un regard circulaire, Madame Tautura vit qu’un passager venait de sortir par un hublot tandis qu’un autre se penchait pour enjamber à son tour l’étroit passage. Deux autres personnes attendaient leur tour.
    - Viens, intima-t-elle à Augustin, nous allons passer par le hublot, il y a moins de monde.


    A l’arrière de l’avion, dans les toilettes étroites, l’hôtesse se recula et prenant un nouveau passager le poussa vers l’ouverture. L’homme enjamba le bas de la porte et sans prendre garde aux hurlements du vent bascula et se laissa tomber dans l’eau noire.
    L’hôtesse ordonna aux passagers suivants de sauter à l’eau, leur rappelant au passage de n’ouvrir leur gilet qu’une fois à l’extérieur de l’avion. Puis elle s‘adressa à Christian:
    - Continuez à les faire évacuer, je suis inquiète de ne pas voir le copilote. Il aurait dû venir nous aider à l’arrière … je vais essayer d’appeler le cockpit !

    Dans le poste de pilotage, le copilote parlait avec le commandant de bord, accroupi, de l’eau jusqu’à la taille.
    - L’avion s’enfonce … il coule lentement … constata-t-il avec un regard inquiet tout autour de lui.
    Pierre prit un masque à oxygène qu'il observa en le tournant dans sa main.
    - Qu’est-ce qu’on pourrait faire avec nos masques à oxygène … il n’y a aucune étanchéité, ils ne sont pas fait pour cet usage, l’eau va entrer de partout.
    Il avait repris conscience et se sentait vaseux, comme détaché des évènements qui se déroulaient autour de lui. Sa plaie au cuir chevelu ne saignait plus.
    Régis réfléchit une seconde avant de donner son opinion :
    - Si nous coulons il faudra attendre que l’au ait complètement envahi le cockpit, prendre notre respiration et tenter d’ouvrir ma fenêtre latérale. Une fois ouverte, si on n’est pas noyé il faudra sortir l’un après l’autre…
    Pierre hocha la tête.
    - Tu sortiras en premier, tu es mieux placé. Mais nous essaierons de respirer un peu d'oxygène avec nos masques, on ne sait jamais ...

    Un bruit métallique, répété, sec mais assourdi attira l’attention du copilote. Il s’appliqua à en repérer la provenance et son regard se posa sur sa fenêtre latérale. Il eut un sursaut et cru voir une vision de cauchemar, un monstre marin était de l’autre côté de la vitre. Ses yeux s’écarquillèrent à la vision certes floue mais horrible de la créature qui s’approcha jusqu’à se coller contre la fenêtre.

    à suivre ... (peut-être un court épisode pour Noël ?...)

    eolien
    Whisky Quebec


    Détresse sur le Pacifique - Page 2 Empty Re: Détresse sur le Pacifique

    Message par eolien Jeu 25 Déc 2014 - 10:38

    18 ème épisode :

    Un large cercle noir avec au centre deux yeux clairs l’observaient attentivement, des yeux d'un bleu clair, mobiles, peut-être souriant, des yeux d'apparence humaine. Puis un brusque éclat de lumière le fit sursauter alors que son faisceau balayait l’intérieur du poste de pilotage.
    - C’est Jim ! Jim l’australien ! hurla Régis en se tournant vers Pierre. C’est Jim le Poken !…
    En proie à une grande excitation il se contorsionna pour s’approcher de la vitre, son visage n’étant plus séparé que de quelques centimètres du masque de l’homme-grenouille dont le regard allait d’un endroit à l’autre, observant comme il le pouvait la situation dans le cockpit.
    Le copilote fut ébloui par le faisceau de sa lampe et il se poussa pour permettre au plongeur d’éclairer le petit espace du poste de pilotage. La torche se fixa sur Pierre qui grimaça tant le faisceau lui perça les pupilles.
    Pris d’une inspiration subite, Régis saisit une feuille de papier, un stylo et griffonna en grosses lettre :
    « The door is jammed by bagages »
    Puis il écrivit un deuxième message.
    «  Pierre KO. Now OK »
    Il colla les messages tour à tour contre la vitre, les laissa quelques courtes secondes puis regarda dehors. Jim le Poken approcha sa main pour faire le signe qui signifie que le message avait été bien compris, il indiqua sa montre, expliqua par geste qu’il reviendrait, les salua d’un geste amical, bascula gracieusement pour s’éloigner au coeur d’un nuage de bulles d’air en disparaissant dans les ténèbres.

    - Il a une bouteille … fut le seul commentaire du copilote qui s’accroupit sur ses talons, l’eau étant à présent à mi-jambes.
    - En tous cas même s’il ne peut rien faire c’est réconfortant de le savoir là … Jim le Poken … soupira Pierre, le regard pensif, mais avec un très léger sourire au coin des lèvres.

    La situation à l’avant de l’avion se compliquait car les bagages que les deux manutentionnaires de fortune dégageaient de l’entrée du poste de pilotage devenaient un handicap supplémentaire pour les passagers arrivant de la cabine.
    Tamatoa, le solide polynésien interpella Jacques Bouchard :
    - Il faut jeter les bagages à l’extérieur, sinon, on va finir par boucher le passage, ajouta-t-il en indiquant du pouce le tas de sacs et de valises qui était monté d’un bon mètre.
    Voyant une dame escalader à grand peine cet obstacle, Jacques Bouchard approuva d’un vigoureux hochement de tête et jeta la valise qu’il tenait à la main à travers l’ouverture de la porte. Le bagage toucha l’eau dans une gerbe d’eau vite emportée par le vent, et s’éloigna en se dandinant sur l’eau noire.
    En quelques secondes l’avion fut balisé par tout un chapelet de bagages multicolores et de gilets de passagers dont certains s’agrippaient par instinct aux plus proches ballots passant à leur portée.

    Sa tentative de contact avec les pilotes ayant été un échec, s’étant assuré que Christian et Albert maîtrisaient bien la situation, Amélie décida de se diriger vers l’avant de l’avion pour savoir ce qu’il s’y passait.
    La cabine était vide, seuls trois passagers et un enfant s’affairaient à évacuer par un des hublots. Elle chemina sur le plafonnier, de l'eau jusqu'à mi-cuisse et au passage s’adressa à Madame Tautura :
    - Vous avez bien fait de choisir ce hublot pour évacuer, il y a plus de monde à l’arrière … Je vous remercie de vous occuper de ce jeune homme. Amélie lui adressa un sourire.  On va s’en sortir,  Je vais voir à l’avant ce qu’il s’y passe !…
    Sans lui laisser le temps de répondre elle fila vers l’avant de la cabine. Une dizaine de passagers y étaient agglutinés, attirés par les appels de Roland.
    - Laissez-moi passer !
    Elle dut bousculer les passagers pour se frayer un passage jusqu’à la soute. Dans la pénombre le tableau paraissait désastreux. Des bagages et des caisses entassés dans un désordre inouï, à moitié inondés, montagne que des passagers escaladaient à quatre pattes.
    Elle fit comme eux, exigeant de ceux qui étaient déjà engagés qu’ils la laissent passer et elle put prendre contact avec Roland. Amélie avait noté les deux passagers qui dégageaient des bagages devant la porte d’accès au cockpit et reconnut Jacques Bouchard qui travaillait avec entrain.
    Dès qu’il l’aperçut Roland s’écarta ce dont profita Jacques Bouchard pour jeter au-dehors une paire de sacs :
    - La porte avant est coincée, on ne peut pas l’ouvrir plus que cela, objecta-t-il en pointant l’étroit espace d’où fusaient des giclées d’eau. … mais ça suffit pour évacuer, quant à la porte du cockpit, on va la dégager. J’ai parlé avec un des pilotes, ils attendent.
    - Bien, très bien, répondit Amélie, soulagée de constater que son choix avait été le bon et que Roland assumait parfaitement son rôle.
    - L’eau rentre de partout, intervint Jacques Bouchard, on fait au plus vite … l’avion coule !

    Amélie s’approcha de la porte du cockpit, tambourina de son poing :
    - Pierre, Régis, vous m’entendez ?…
    L’appel surpris les pilotes qui étaient occupés à préparer leurs masques à oxygène, vérifiant sangles et ouverture des robinets.
    - Oui, Amélie, on est là !… On est coincé.
    - Il faudrait que vous teniez avec vos masques à oxygène le temps que vous puissiez ouvrir vos fenêtres …
    - C’est ce qu’on a prévu, répondit le copilote, mais on est pas certain que l’eau ne va pas envahir les masques … ils ne sont pas fait pour ça …
    Amélie fit la grimace.
    - Il faut que je retourne à l’arrière, il ne restait plus grand monde à évacuer et ici aussi, c’est bien avancé…. Comment va Pierre ?
    - Ne t’inquiètes pas Amélie, ça va bien, répondit le commandant, j’ai pris un coup sur la tête, j’étais groggy mais l’eau fraîche m’a bien réveillé. On va s’en sortir !… Retourne à l’arrière… merci, mille mercis !


    Le regard d’Amélie croisa celui de Jacques Bouchard qui soulevait une lourde valise qu’il porta en titubant et pataugeant jusqu’à la porte où il attendit un instant qu’un passager ait basculé pour y balancer à sa suite le bagage.
    - Merci ! merci ! Vous êtes … elle ne trouva pas de mot, les gratifia d’un sourire, et conclut : Je retourne à l’arrière … vous êtes … formidables !
    - Ca va aller, fit sobrement Tamatoa, ça va aller …

    Alors, la jeune fille était revenue vers l’arrière. L’eau arrivant à leurs genoux les rescapés se pressaient en désordre et elle eut du mal à se frayer un chemin pour aller voir qu’elle était la situation du passager prisonnier de la porte arrière.
    John Ripley avait cessé de gigoter et tenait fermement la poignée des deux mains.
    Albert était appuyé sur la porte pour soulager la pression sur l’infortuné baigneur, et s’adressa à Amélie :
    - L’avion s’est beaucoup enfoncé, on va pouvoir tenter de le libérer … Essayez de dégager la …
    Il s’interrompit brusquement en voyant apparaitre une lueur dans l’eau noire, qui se transforma en un faisceau éblouissant. Le masque de Jim émergea derrière John Ripley. Il cracha son embout :
    - Quelle est la situation ici ?…
    - Ce passager s’est accroché à la poignée par son gilet et il est coincé. Nous n’avons rien pour couper la sangle … Je reste là pour le soulager du poids de la porte …
    Jim barbota un instant et brandit un couteau qu’il tendit à Amélie :
    
- Vous êtes mieux placée !
    L’hôtesse saisit le couteau, s’accroupit, empoigna la bretelle jaune et entreprit de la trancher. Le couteau étant bien aiguisé, l’affaire ne prit que quelques secondes et John Ripley fut enfin libéré mais resta coincé entra la porte et le pas de porte.
    - Essayez de pousser tous les deux, intima Jim, je vais tirer … et vous, dès que vous serez libéré éloignez-vous !
    Il plaqua ses deux pieds palmés sur la carlingue s’arcbouta et hurla :
    - Poussez !
    John Ripley sentit la pression diminuer et réussit à se faufiler puis à s’écarter de l’avion dont il s’éloigna sans plus attendre, son gilet de traviole.
 Le trio de sauveteurs ayant relâché la pression, la porte se referma, ne laissant qu’un mince interstice où Jim pointa son nez. De l’intérieur le faible éclairage laissait entrevoir qu’il avait repoussé son masque sur le haut de son front.
    - Quelle est la situation ?…
    L’avion est en train de couler, je pense que la moitié des passagers a pu quitter l’avion mais la porte avant est à moitié coincée ce qui ralentit le rythme et ici nous n’avons que la petite porte de l’autre côté. Les pilotes sont …
    - Oui, je sais, l’interrompit Jim, je suis allé les voir. Pierre a été blessé mais il va bien maintenant.  Est-ce qu’il y a des blessés qui ne peuvent pas nager ?…
    L’hôtesse regarda derrière elle. La cabine était vide, mis à part le petit groupe près du hublot et ceux qui à l’avant se battaient avec les bagages pour se frayer un chemin vers la sortie.
    - Apparemment tout le monde est debout … s’ils sont tous suffisamment valides pour évacuer, je pense qu’ensuite le vent les poussera vers le rivage.
    - Avez-vous des bouteilles d’oxygène portative avec leurs masques ? demanda le plongeur.
    - Oui … mais pour quoi faire ? s’étonna Amélie
    - Pour les pilotes … il sont coincés dans le cockpit… la porte est bloquée.
    - Ils ont des bouteilles et des masques au cockpit, ils étaient en train de les préparer.
    - OK, approuva Jim, je retourne vers l’avant. Dépêchez-vous d’évacuer … conseilla le plongeur tout en positionnant son masque. Je reviendrai vers vous dans un moment…
    L’hôtesse se pinça la lèvre inférieure puis précisa :
    - Ne comptez pas trop sur les masques … ils ne sont pas étanches …
    Délaissant son embout, Jim fit glisser un tuba sur sa bouche, fit un signe de la main tout en basculant dans l’eau noire et disparut dans l’obscurité.

    L’avion s’enfonçait, les passagers n’avaient plus besoin de plonger car à présent l’eau leur arrivait à mi-jambe. Ils s’affalaient dans l’eau et gonflaient immédiatement leurs gilets. Malgré le tumulte de la cabine, malgré le rugissement de la tempête, les sauveteurs de fortune et l’hôtesse entendaient le sifflement de l’air comprimé qui transformait en un instant les gilets flasques en bouées bien dodues, plusieurs ayant gonflé leurs bouées de fortune un instant avant de plonger, malgré les consignes données. Les rescapés nageaient alors maladroitement, se gênant les uns les autres,  jusqu’à ce que le vent les chasse au hasard de ses caprices.

    L’eau montait dans l’avion, les passagers devaient à présent barboter à mi-jambes et arrivés à la porte s’affaissaient dans l’eau plutôt qu’ils ne sautaient. Lorsque Tamatoa eût balancé à la mer le dernier bagage obstruant la porte d’accès au cockpit, il en tourna la poignée et tenta de l’ouvrir. Vainement. Il inspecta le contour et constata que la cellule s’était tordue et que la porte était irrémédiablement condamnée.


    Dernière édition par eolien le Ven 19 Mai 2017 - 11:03, édité 1 fois

    eolien
    Whisky Quebec


    Détresse sur le Pacifique - Page 2 Empty Re: Détresse sur le Pacifique

    Message par eolien Mar 3 Fév 2015 - 1:04

    19 ème épisode :

    Madame Tautura avait de l’eau jusqu’à la ceinture lorsqu’elle put enfin avoir accès au hublot grand ouvert. L’eau y pénétrait à présent en un flot qui aurait été calme s’il n’eut été précipité par le vent. Elle se tourna vers Augustin :
    - Vas-y mon petit, lui enjoignit-elle, passe devant et surtout n’oublie pas de tirer sur les cordons du gilet dès que tu seras dehors.
    Le gamin l’observa, hésita, jeta un regard inquiet en comparant la taille généreuse de madame Tautura à celle du hublot.
    - Non, passez devant, je vais vous pousser …
    Madame Tautura fit preuve d’autorité, et poussa Augustin vers le hublot :
    - Dépêche-toi ! Ne t’inquiète pas, je te suis …
    Son protégé une fois dehors madame Tautura s’accrocha des deux mains aux bords du hublot, lutta un instant contre le flot d’eau de mer qui coulait en envahissant la cabine et réussit à se glisser au dehors, mais accrocha du pied le bord inférieur du hublot, ce qui la fit pivoter et basculer la tête la première dans l’eau noire. Elle s’affola, nagea maladroitement quelques instants, mélangeant brasse et gestes désordonnées, ne sachant plus où était la surface. Elle but la tasse, toussa, fit des gestes brusques, donnant des signes d’affolement. Heureusement son corps se retourna et elle émergea en surface, suffocante, le visage criblé de giclées de pluie et d’embruns salés..
    - Gonfle ton gilet ! hurla la voix aigüe et proche d’Augustin qui en oublia le vouvoiement dû aux adultes tant était grande son inquiétude de voir cette dame se débattre maladroitement dans l’eau noire.

    Le jeune garçon s’approcha d’elle, l’agrippa d’une main ce qui accentua le désordre des gestes de madame Tautura, tandis que de l’autre main il tâtonna jusqu’à trouver le cordon du gilet qu’il tira d’un coup sec.
Le gilet se gonfla instantanément et permit à sa propriétaire de se retrouver en confortable position. La tête hors de l’eau, retrouvant sa respiration malgré la pluie violente, madame Tautura se calma.

    - Fais comme moi, lui dit Augustin, nage la brasse … il faut aller vers les lumières a dit l’hôtesse … et tous deux barbotèrent de conserve vers la rive. De temps en temps Augustin agrippait le col du gilet des sa protégée et l’orientait dans la nonne direction, la rassurant de ses conseils.

    L’hôtesse Amélie aida le dernier passager à évacuer l’avion, il ne restait plus à l’arrière que Christian et Albert, les cheveux collés par l’eau de mer, les vêtements trempés, immergés à présent jusqu’à la taille. De nombreux objets flottaient un peu partout, des papiers, des sacs vomitoires, des revues, des vêtements ...

    - Il faut quitter l’avion, dit Albert d’un ton ferme.
    - Les pilotes sont coincés à l’avant, répondit l’hôtesse, il faut aller voir ce que l’on peut faire.
    - Non, refusa Christian, regardez, la cabine est quasiment noyée, vous avez de l'eau jusqu'au épaules. Il faut sortir par ici tant qu’il en est temps. Venez, ordonna-t-il en lui prenant le poignet.
    Tous les trois se glissèrent au dehors de l’avion par la seule issue possible, la petite porte des toilettes.
    Quelques secondes plus tard l’arrière de l’avion glissa sous la surface.
    Une fois leurs gilets gonflés ils se concertèrent, s'écarter de la queue qui coulait, aller vers l'avant pour essayer d'apporter leur aide aux pilotes ...
    Un bruit de moteur attira leur attention et ils unirent leurs cris, les bras levés, insensibles au mitraillage des gouttes de pluie sur leurs visages.

    A l’avant Jacques Bouchard resta silencieux et consterné en constatant ce que lui indiquait Tamatoa. Par acquis de conscience il tira sur la poignée : il était évident qu’ils ne pourraient jamais l’ouvrir. Les pilotes étaient bel et bien prisonnier dans leur cockpit.
    Roland demanda à ses deux compagnons de quitter l’avion, l’eau leur arrivant plus haut que la taille.
    Levant le poing, Tamatoa frappa deux coups secs sur la porte du cockpit :
    - M’entendez-vous ? s’enquit-il.
    - On vous écoute ! acquiesça le copilote.
    Le sauveteur polynésien se passa la main dans ses cheveux dont les boucles d’un noir de jais brillaient dans la pénombre, trempées d’eau de mer.
    - Je suis désolé mais la porte est coincée. .. la cabine est tordue …
    Pierre se déhancha pour pivoter vers la porte.

    - Il y a une hache suspendue dans un étui ! La porte n’est pas très résistante ... vous aurez tôt fait de nous faire un petit passage …
    C’était la phrase que redoutait Tamatoa.
    Jacques Bouchard qui avait suivi la conversation se pressa de venir au secours de son compagnon d’infortune :
    - On s’en est servi mais elle nous a échappé des mains et est tombée à l’eau … Désolé, on a plus de hache …

    Une voix les interpella :
    - Dites aux pilotes de tenir avec leurs masques à oxygène et d’ouvrir une fenêtre dès que le cockpit sera noyé.
    Le masque sur le front, Jim le Poken était accoudé à la porte. Il avait suivi la conversation et anticipait sur le naufrage à présent proche de l'avion.
    Sans perdre de temps à manifester sa surprise de l'arrivée de l'homme grenouille, Roland interpela les pilotes et leur répéta le message de Jim.
    - Il y a une hache à l’arrière ! cria Pierre.
    Tamatoa qui était monté sur la pile de bagages secoua négativement la tête.

    - C’est trop tard, l’eau a envahi tout l’arrière. Il faut sortir … et vite !
    D’un geste Roland fit signe à Jacques Bouchard de quitter l’avion et s’adressa aux pilotes :
    - Ce n’est pas possible, on ne peut plus aller vers l’arrière, la cabine est noyée, il nous faut évacuer sur le champ. L’homme grenouille essaiera de vous aider …
    - Fenêtre côté droit ! le coupa Pierre. Dites lui bien, côté droit !
    - OK ! Il a entendu ! Bonne chance !
    Tamatoa était déjà en train de basculer vers l’extérieur, il le suivit, l’esprit préoccupé par le destin bien compromis des deux pilotes.
    Jacques Bouchard et Tamatoa étaient agrippés à la carlingue dont le nez pointait encore au-dessus de l’eau, engoncés dans leur gilets jaunes. Roland les rejoignit en deux brasses, les trois sauveteurs regardèrent Jim basculer, ses palmes luisantes fouettant la pluie avant de disparaitre sous le nez de l’avion.

    Dans le cockpit les deux pilotes étaient debout, de l’eau jusqu’aux épaules. Des papiers flottaient, parsemant l’ombre de taches claires. Il ne restait qu’une quinzaine de centimètres d’air disponible. L’eau montait bien trop rapidement à leur goût et chacun des deux pilotes serrait dans sa main son masque à oxygène. Par moments, bien que l’eau en surface n’était pas très froide, ils grelottaient brièvement, autant de tension nerveuse que de froid.
    - Je vais faire un essai, fit Pierre en ajustant son masque, puis il s’accroupit dans l’eau. Des bulles sortirent au-dessus de sa tête qui jaillit brusquement. Après avoir craché et toussé il secoua négativement la tête.
    Ils abandonnèrent leurs masques, inutilisables.
    La situation était effrayante, l'eau leur arrivait au menton, l'espace libre se réduisait si vite ... dans quelques dizaines de secondes, ils seraient sortis ou bien noyés.

    à suivre ...


    Dernière édition par eolien le Dim 15 Fév 2015 - 14:23, édité 3 fois
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    Détresse sur le Pacifique - Page 2 Empty Re: Détresse sur le Pacifique

    Message par eolien Lun 9 Fév 2015 - 10:15

    20 ème épisode :

    Régis lui jeta un bref coup d’oeil, ouvrit la bouche prit une bonne respiration et s’enfonça dans l’eau.
    Il tâtonna à la recherche de la poignée. Il avait anticipé sur ce geste, plusieurs fois, alors qu’ils attendaient, silencieux, observant avec inquiétude l’eau monter dans l’étroit poste de pilotage, il s’était imaginé ouvrant en apnée sa fenêtre et en avait mentalement réalisé la gestuelle : « déverrouiller, tirer … attention, l’avion est sur le dos, tout sera inversé. »
    Les yeux mi-clos, sans se préoccuper de la brûlure de l’eau de mer, il s’approcha, recherchant la poignée dans la faible luminescence de l’éclairage de secours.
    Alors qu’il s’apprêtait à saisir la poignée tout disparut dans une obscurité seulement troublée par le vague halo de la torche que Jim le Poken balançait à bout de bras.

    Lorsque l’éclairage de secours rendit son âme au diable, Pierre prit une ultime inspiration et se laissa glisser, les yeux grands ouverts dans le noir.
    Il devina plus qu’il ne le vit le bras de son copilote qui secouait la poignée puis la tirait pour ouvrir la fenêtre.
    Jim le Poken, qui surveillait attentivement le déroulement de cette évacuation avait compris que l’éclairage de secours avait cessé de fonctionner, il dirigea le faisceau de sa torche vers la fenêtre cherchant le meilleur angle, compromis entre la nécessité de ne pas éblouir le pilote tout en l’aidant à voir ce qu’il faisait.
    La fenêtre s’entrouvrit d’une dizaine de centimètres. Jim pensa qu’ils étaient sauvés lorsque le mouvement s’arrêta. Supputant un problème, il lâcha sa torche qui resta accrochée par sa lanière à son poignet, attrapa d’une main le bord de la fenêtre et de l’autre le montant du pare-brise et banda ses muscles pour écarter la fenêtre.
 A l’intérieur du cockpit Régis faisait le même effort et leurs forces unies ne permirent d’élargir l’espace et de ne gagner que quelques millimètres. 
A la position du copilote Pierre compris que quelque chose empêchait l’ouverture normale de la fenêtre. Il se força à ne pas paniquer, se déplaça, posa une main sur la fenêtre, plaça ses pieds sur le tableau de bord et associa son efforts à ceux de ses compagnons.
    Supposant que les deux pilotes étaient à bout de souffle, Jim libéra ses mains, il sortit son embout de sa bouche, l’éclaira avec sa torche et le tendit au copilote qui le mit en bouche avidement.
 Régis expulsa l’air de ses poumons prit deux bruyantes inspirations et tendit l’embout  au commandant de bord.
    Ayant repris en partie leurs souffles ils unirent à nouveau leurs forces pour tenter de déplacer la fenêtre.
    Pendant que les trois hommes luttaient, le Fairchild s’enfonçait lentement dans la mer, libérant des millions de bulles d’air qui se disputaient avec agitation le passage vers l’air libre.
    Ils se passaient l’embout à tour de rôle et tiraient, poussaient, secouaient la fenêtre dont ils constataient bien qu’elle se déplaçait, millimètre par millimètres jusqu’à se bloquer, définitivement.
    Jim était en apnée, bientôt à bout de souffle, il saisit sa torche, éclaira la scène pour faire signe aux deux pilotes qu’il reviendrait, se débarrassa avec adresse de sa bouteille et de son harnais, dans le même geste il glissa la lampe-torche dans le cockpit puis se propulsa avec ses palmes vers la surface. Trois ou quatre mètres et il déboucha en surface, le visage fouetté par les averses, la bouche grande ouverte pour reprendre sa respiration.
    Il devina sous lui l'avion qui sombrait dans l'univers glauque des fonds sous-marins.

    Transperçant le bruit du vent et le clapotis de la pluie, il entendit le bruit d’un moteur. Un canot était tout près de lui. Repéré par ses cris, il vira de bord en un instant et moteur au ralenti, courut sur son ère jusqu’à Jim qui tendit les bras et s’accrochât à son rebord.
    Après avoir relevé son masque sur son front, Jim jeta un oeil dans le canot. Trois personnes étaient accroupi derrière le pilote du canot, toutes encore équipées de leurs gilets dont le jaune luisait dans la nuit.
    - Les pilotes sont resté coincés dans le cockpit, haleta-t-il, je leur ai laissé ma bouteille mais il n’ont qu’un embout pour deux … ils en ont pour une vingtaine de minutes.
    Jim tourna la tête pour jeter un regard circulaire.
    - Ernest, il faut repérer l’endroit où l’avion a coulé …

    Ernest, le jeune mélanésien qui pilotait le bateau, remit un peu les gaz et commentât son geste ;
    - Avec ce vent on dérive, j'ai pris des repères … l’avion est par là, le doigt tendu il indiquait la nuit. En face de cet hôtel !
    Jim tourna la tête, des lumières trouaient le rideau de pluie.
    - Excellent ! Il faut que je leur descende des bouteilles …
    Plusieurs minutes auparavant, pendant qu’il s’équipait de sa tenue de plongée, Jim avait demandé à Ernest d’embarquer deux bouteilles avec leurs détendeurs.
    Le jeune mélanésien l’interrompit, sa peau noire luisante de pluie et d’eau de mer, un tee-shirt blanc tranchant dans la nuit :
    - Pendant qu’il s’enfonçait l’avion a beaucoup dérivé, poussé par le vent. Il est par là à trente ou cinquante mètre du rivage … pas beaucoup profond … peut-être, ajouta-t-il prudemment.
    - Aidez-moi à monter à bord, demanda Jim, s’agrippant comme il le pouvait.

    Tamatoa qui était le plus proche le saisit d’une poigne ferme pour le faire basculer et s’accroupir dans le canot, la combinaison noire ruisselante.
    - Emmène le canot là où tu penses qu’il a coulé, ordonna Jim.
    - J’ai pris des repères quant tu es sorti de l’eau, c’est là … ils vont avoir froid ajouta-t-il sentencieusement.
    Le canot prit un peu de vitesse. Assis à l’arrière, Roland rompit le rugissement du moteur mêlé à celui de la tempête :
    - Pourquoi ne sont-ils pas sorti par la fenêtre ?
    - Elle est coincée, on a pas pu l’ouvrir plus que dix centimètres. Je leur ai passé mon embout et ma bouteille pend au-dehors. L’avion coulait … Un embout pour deux, ils ne tiendront pas longtemps. il faut faire vite !
    Ernest réduisit les gaz, le canot face au vent, toujours à légère puissance pour essayer de maintenir la position.
    - Aidez-moi, il faut que je m’équipe, fit-il en se redressant, le masque sur le front, agile et équilibré dans le canot que le vent violent agitait sans répit..
    - Combien as-tu pris de bouteilles ? s’enquit le jeune australien en s’adressant à Ernest, qui par petit coup de gaz et de caps maintenait sur place le canot, ses yeux  plissés par la pluie scrutant ses repères.
    - Tu en a deux sous la bâche. Il y en a trois dans le pick-up !
    Jacques Bouchard s’était déjà levé et en titubant avait soulevé une bâche, découvrant les bouteilles d’air comprimé qui gisaient dans la pénombre.

    Jim choisit une bouteille et Tamatoa l’aida, ajustant pour lui les sangles, puis se proposa :.
    - Je sais plonger, assura-t-il, si vous voulez je peux vous aider.
    Surpris, Jim le Poken observa ce colosse qui finissait de ses mains habiles de glisser vers lui l’embout de son scaphandre, gardant bien son équilibre, ce qui n’était pas facile, le canot roulant d’un bord sur l’autre, tanguant au caprice du vent.
    - OK ! Equipez-vous vite, ils n’en ont plus que pour quelques minutes… je plonge le premier. Vous me repèrerez à ma torche … quel est votre prénom ?
    - D’accord, répondit sobrement le polynésien. Tamatoa ! je m’équipe et je plonge.
    - Bien, approuva Jim, Tamatoa, le but est de leur laisser nos bouteilles, par l’extérieur, on glisse nos embouts par la fenêtre, pour gagner du temps. Ensuite on remonte … Ernest dès que Tamatoa aura plongé, tu files au pick récupérer les bouteilles et des torches et reviens te positionner à cet endroit ! Je vais plonger ici, je leur ai laissé ma torche. Si elle est allumée je les repèrerai …  Le jeune australien suspendit sa phrase et fit par de sa réflexion : Mais avec cette mer agitée, la visibilité sera très réduite.
    Jim positionna son masque, s’assit sur le rebord et bascula en arrière dans une éclaboussure que le vent nettoya. En un instant il avait disparu.
    Roland et Jacques Bouchard aidèrent de leur mieux Tamatoa à enfiler le harnais d’une des bouteilles, qui fut sanglé sur son tee-shirt et sur son jean.
    Le polynésien s’assit sur le rebord, plongea son masque dans la mer, l’égoutta, ajusta son embout, en vérifia brièvement le fonctionnement, leur fit un signe de la main, pouce levé.
    - Merci Tamatoa, merci ! et Roland lui serra le bras.
    - Bonne chance ! cria Jacque Bouchard
    Comme une ombre fugace, le plongeur pivota et disparut dans quelques éclaboussures.
 Ernest attendit quelques secondes pour s’assurer que les plongeurs étaient à une profondeur suffisante, puis il mit plein gaz, virant de bord.
    Le canot se dressa sur sa proue, fendant l’eau, le vent et la pluie.


    Dernière édition par eolien le Dim 26 Avr 2015 - 23:52, édité 1 fois


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    Message par eolien Mar 3 Mar 2015 - 11:50

    21 ème épisode :

    Calfeutrés dans leurs maisons et dans les hôtels bordant l’Erakor lagon, les habitants ignoraient pour la plupart qu’un avion en détresse venait de s’abimer à quelques encablures des rives du lagon, le rugissement de la tempête ayant masqué le bruit du moteur valide.
    Seuls quelques-uns avaient été attirés par les secouristes venus de l’aéroport, pompiers et gendarmes, et aussi par l’arrivée de Jim le Poken et de son fidèle lieutenant, Ernest.

    Quelques habitants avaient bravé la tempête pour aller informer leurs voisins qu’un avion était sur le point d’amerrir. L’information avait à peine eût le temps de se répandre que les phares avaient dessiné un halo dans la nuit inondée. Les secouristes et les rares badauds avaient tout juste pu distinguer le Fairchild rasant l’eau, luttant contre les bourrasques pour terminer sa cours dans une cabriole que la nuit et la pluie avaient estompé. Il ne restait que la trace blanchâtre du ventre de l’avion à la surface noire et pétillante du lagon.

    La mise à l’eau d’une embarcation par les secouristes fut un échec : le moteur, noyé d’eau, refusa de démarrer. Après plusieurs tentatives, les pompiers entendirent le rugissement du moteur du canot de Jim l’australien dont ils ne purent que suivre des yeux, un instant, le sillage blanc que la tempête s’appliqua à effacer.
    Ils décidèrent de ramer, mais le vent fut le grand vainqueur d’un combat inégal et le mieux qu’ils puissent faire fut de laisser le vent les aider à aller s’échouer un peu plus loin.

    Entre les premiers passagers qui avaient évacués l’avion et les derniers, il s’étaient écoulés plusieurs minutes, aussi c’est dans un grand désordre que des fantômes sortirent de l’eau, ici et là, au hasard de trajectoires diverses.
    Certains pataugèrent dans un sable mêlé de boue, seuls, trébuchants dans l’obscurité, hagards, traumatisés par la soudaineté et la violence de leur situation. D’autres, plus chanceux, furent pris en charge par les secouristes, ou à défaut par les habitants.
    Réalisaient-ils qu’ils étaient rescapés d’une catastrophe aérienne ?
    Avaient-ils conscience qu’ils avaient échappé de peu à une mort violente ou aux affres de la noyade ?
    Ils avaient froid. Le vent collait leurs vêtements à leur peaux frissonnantes, certains commençaient à ressentir la douleur des blessures que le stress et l’urgence de leur sauvetage leur avaient fait oublier.

    Ils se regroupèrent, allant les uns vers les autres dans un instinct grégaire dès qu’ils apercevaient une ombre.

    Il fallait des abris ou les réconforter, des couvertures pour les réchauffer. Les gendarmes s’activèrent à les rassembler dans un hôtel très proche.

    Lorsqu’il sortit de l’eau, John Ripley voulut se débarrasser de son gilet, puis il se ravisa en distinguant dans la pénombre une tache jaune vacillante vers laquelle il se dirigea. Il reconnut un passager, blessé, qui se tenait le bras.
    Observant tout autour de lui, il entraina l’homme vers quelques lumières qui scintillaient, masquées par le rideau de pluie. En approchant il distingua des ombres, des appels qui se faisaient plus précis.
    Plusieurs passagers étaient agglutinés sous le porche d’un hôtel. Des gendarmes et des personnels de l’hôtel leurs apportaient des serviettes de bain, des couvertures, des boissons chaudes commençaient à circuler.

    « Y-a-t-il des blessés ? » demanda un officier.
    Quelques personnes se plaignirent de divers traumatismes. Les gendarmes examinèrent les plus gravement atteints et organisèrent leur transport vers l’hôpital de Port-Vila.
    Petit à petit les passagers convergeaient vers ce point de rassemblement, des gendarmes ayant été dépêchés de part et d’autres pour porter le mot.

    Madame Tautura barbotait plus qu’elle ne nageait, gênée par son gilet mais toujours redressée par son fidèle Augustin, lorsqu’elle sentit le sol sous ses pieds.

 Elle voulut se redresser, son gilet la déséquilibra, elle trébucha et s’affala dans l’eau, tête en avant, gesticulant sans efficacité. Augustin se précipita et l’aida à se redresser.
    Quelques pas et elle n’avait plus d’eau que jusqu’au genoux.
    Elle réalisa alors qu’elle serrait la main du jeune garçon.
    - Sans toi Augustin, je me serais noyée …
    Augustin ne porta pas vraiment attention à sa remarque, trop occupé à scruter la nuit à la recherche d’indice sur la conduite à tenir.
    Apercevant quelque lumières falotes, il indiqua la marche à suivre :
    - Viens, on va rejoindre le sable sec et ensuite on ira vers ces lampions !
    - Il faut trouver un endroit où s’abriter, tu vas avoir froid avec cette pluie … intervint madame Tautura.
    Augustin lâcha la main de son amie, ôta son gilet jaune qu’il plaça sur sa tête.
    - Fais comme moi, sert-en pour te protéger …
    Ayant constater que madame Tautura n’arrivait pas à trouver les sangles de son gilet, il l’aida de son mieux tâtonnant dans la pénombre, allant jusqu’à se hausser sur la pointe des pieds pour ajuster le gilet sur ses cheveux mouillés.

    Les commentaires allaient bon train sous la véranda de l’entrée d’un hôtel, alors que les passagers évacuaient le traumatisme de leur accident, chacun voulant exprimer ses sentiments, évacuer ses peurs en exposant sa propre aventure.
    - Moi, dit l’un, je suis sorti par l’avant … un vrai parcours du combattant à travers des bagages et des colis  … puis un gars m’a attrapé et balancé dehors !…
    Quelques rires crispés furent échangés, coupés net par l’arrivée de nouveaux naufragés, trempés, choqués, quelques-uns souffrant de commotions.

    Parmi eux John Ripley que la baignade forcée et le parcours du combattant à travers des cocotiers déracinés et couchés sur la rive du lagon avait revigoré, mais pas forcément de bonne humeur bien qu’il avait eu la chance de tomber très rapidement sur des gendarmes.

    Surgissant de la nuit l’hôtesse Amélie, apparut, trempée, toujours accompagnée d’Albert et de Christian et vint vers eux, demandant s’ils avaient des nouvelles des pilotes. Ni les gendarmes ni les rescapés n’en avaient la moindre idée.
    Elle se mêla aux passagers, les questionnant sur leur état.
    Plusieurs personnes félicitèrent l’hôtesse Amélie et ses deux sauveteurs improvisés.
    L’hôtesse chercha du regard un officier à qui elle demanda de téléphoner au plus vite à sa compagnie.
    - Le plus simple serait d’essayer depuis la réception de l’hôtel … si la ligne n’est pas coupée, parce que avec cette tempête … ajouta-t-il, laissant sa phrase en suspens.

                                                 ***

    Des millions de microscopiques particules dessinaient un halo dans le faisceau de la lampe que Jim le Poken projetait devait lui dans sa descente au coeur de l’eau très trouble et très sombre du lagon. Il en atteignit le fond rapidement, pivota sur lui même en prenant garde de ne pas toucher le fond vaseux pour ne pas aggraver la médiocre visibilité qui l’entourait. Rien. Aucune trace de l'avion.
    Où chercher ? Il décida de décrire des cercles de plus en plus large, nageant tout en épousant le relief assez mollement ondulé du fond du lagon. Cette tactique fut la bonne, il devina un très faible halo vers lequel il se dirigea.
    Pierre et Régis qui surveillaient en grelottant la nuit vaseuse avaient eux aussi aperçu la torche qui se rapprochait.
    Jim éclaira le cockpit, observa les deux pilotes qui se passaient l’embout tour à tour. Il ôta le sien et le passât dans l’étroite ouverture de la fenêtre du cockpit.
    Pierre s’en saisit, respira normalement quelques instants puis le tendit à Jim. Ce faisant il aperçut un faible halo derrière les épaules de leur sauveteur. Il sortit vivement son bras par l’ouverture étroite en pointant du doigt la direction. Jim se retourna et dirigea le faisceau de sa lampe vers Tamatoa qui le repéra et fut sur eux en un instant.
    En quelques gestes, Jim leur fit comprendre qu’ils leur laisseraient leurs bouteilles et reviendraient très vite vers eux. Tamatoa avait déjà défait son harnais, Jim l’imita. Puis dès qu’ils eurent pris une bonne inspiration ils glissèrent les embouts dans le cockpit et filètent vers la surface.
    Ils émergèrent dans la nuit, les griffures des averses sur leurs visages leur rappelant l’acharnement des éléments.

    Ernest avait rejoint son port d’attache en quelques dizaines de secondes. Une fois le canot amarré, il avait bondi sur le ponton, suivi de Roland et de Jacques Bouchard. Alors qu’il repoussait la bâche à l’arrière du pick-up, des gendarmes étaient venus à leur rencontre, attirés par le ronflement du canot.
    Ernest souleva une bouteille d’air comprimé et s’adressa à Jacques Bouchard.
    - Tenez la torche et éclairez-moi, je vais l’équiper de son détendeur.
    Tout en travaillant, il expliqua la situation des pilotes aux gendarmes. En quelques secondes, il avait équipé deux bouteilles qui furent transportées au canot, ainsi que des torches.
    - Jim et Tamatoa sont peut-être déjà remontés. Il faut que l’on aille immédiatement les retrouver.
    Jacques Bouchard intervint et s’adressa aux gendarmes :
    - Il faudrait des outils pour forcer l’ouverture de la fenêtre … essayez d’en trouver, on reviendra ici.

    Quelques secondes plus tard Ernest mit plein gaz, fila vers le large, puis réduisit  très rapidement le moteur pour ne pas risquer de heurter les plongeurs, scrutant la nuit, jetant de brefs regards aux repères qu’il avait prit.
    Les deux nageurs entendirent le moteur et leurs torches furent vite repérées.
    Dès qu’il furent à bord, Tamatoa leur fit part de sa réflexion.
    - C’est moi qui tenait la hache quand elle m’a échappé des mains et est tombée à l’eau …
    - Vous n’y êtes pour rien, personne ne vous le rep …
    Le colosse polynésien leva la main et l’interrompit :
    - Le captain l’a dit, il y a une autre hache à l’arrière. Si on la trouve, on doit pouvoir défoncer la porte du cockpit. Les montants sont en métal, mais les panneaux me paraissent en … il chercha un mot précis, et n’en trouvant pas conclut : moins solides.
    Un silence s’ensuivit, avec en fond sonore la rumeur de la tempête et le crépitement des gouttes d’eau sur la mer et sur le canot, tous méditant sur la proposition du polynésien.
Toujours à son poste, Ernest qui maintenait à petit régime le canot sur place rompit le silence :
    - C’est une bonne idée patron !
    - Jim, approuva Roland, vous pouvez essayer, pendant ce temps nous retournerons à terre pour voir si les gendarmes ont trouvé du matériel … mais avec ce temps …
    - Oui, fit Jim qui se tourna vers Tamatoa : Sais-tu où est cette hache ?
    - Non, mais l’avion n’est pas très grand … en cherchant, à deux, on va bien la trouver …
    - OK, on s’équipe et on y va, décida le plongeur australien.

    à suivre ...


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    Message par eolien Lun 16 Mar 2015 - 11:26

    22 ème épisode :

    John Ripley méditait, une tasse de café bien chaud entre les mains, les épaules recouvertes d’une serviette de plage bariolée, le regard dans le vague. Il se tâta les côtes qui le faisaient souffrir à chaque inspiration. « Comment un équipage pouvait-il avoir si peu de compétences pour les avoir entrainé dans ce désastre ? »
    Un passager s’assit à côté de lui. De forte corpulence il tamponnait une blessure au front qui saignotait encore un peu.
    - Vous avez choisi ce vol sur un coup de tête ?… plaisanta John Ripley en pointant du doigt sa blessure.
    - Vu les circonstances, je m’en sors plutôt bien, répondit l’homme avec un sourire. Nous nous en sortons tous bien.
    Une dame qui avait suivi l’échange approuva :
    - Tout le monde a pu sortir de l’avion, nous avons eu beaucoup de chance.
    Levant sa tasse, John Ripley capta son attention:
    - Le destin qui nous avait mis en de si mauvaises mains ne pouvait …

    Il fut interrompu par le carillon d’une clochette qu’un employé de l’hôtel agitait du poignet. le silence s’établit très vite alors que par petits groupes les rescapés s’approchaient.
    - Mesdames et messieurs, les gendarmes ont une communication à vous faire.
    Un officier leur expliqua la situation. Tous les passagers étaient à présent regroupés à l’hôtel, exemptés ceux qui avaient été conduits à l’hôpital de Port-Vila.
    Malheureusement, nous ne pouvons pas donner de nouvelles des pilotes qui sont restés bloqués dans leur cockpit. Des secouristes essaient à cette heure de leur venir en aide.
    - L’avion flotte encore ?… s’écria d’un ton incrédule un passager.
    - Non, nous savons qu’il a coulé. Des plongeurs ont pu leur faire passer des bouteilles d’air comprimé. C’est tout ce que nous savons … Je laisse la parole au représentant de la compagnie.
    Le chef d’escale, chemisette bleu clair que la pluie collait à sa peau sur un pantalon tout aussi humide croisa les regards de la vingtaine de personnes qui l’encerclaient.
    - Mesdames et messieurs, je vous présente, au nom du président et des personnels de la compagnie toutes nos excuses et tous nos regrets pour l’accident qui vient d’avoir lieu.
    Fort heureusement il n’y a aucun blessé grave. Les nouvelles que je viens d’avoir du médecin-chef de l’hôpital sont rassurantes. Vos compagnons de voyage hospitalisés ne souffrent, pour les plus graves, que de fractures aux membres supérieurs …
    Il s’interrompit car un passager venait de lever la main.
    - Que de fractures ?… Vous trouvez qu’ils ne souffrent que de fractures ?…John Ripley avait pris un ton ironique pour donner à l’expression une note désinvolte.
    - Monsieur, si l’on considère les circonstances, cela aurait pu être beaucoup plus grave et ne déformez pas mon propos. Je compatis aux souffrances des passagers blessés, mais nous avons crains le pire …
    - Vous avez craint le pire ? rugit John Ripley. Dans votre bureau ? Bien à l’abri ?
    D’un geste théâtral John Ripley balaya du bras les personnes qui l’entouraient :
    - Mais c’est nous qui avons craint le pire. Et c’est vous, votre compagnie, vos pilotes qui nous avez fait vivre le pire !…
    Le chef d’escale ouvrit la bouche pour répondre, les deux mains projetés en avance dans un geste de défense, mais John Ripley ne lui en laissa pas le temps.
    - Nous avons pris des billets pour aller de Hionara à Espiritu Santo puis à Port Vila. John Ripley marqua une courte pause puis articula avec emphase : pour l’aéroport de Port Vila ! Pas pour finir amochés au fond du lagon !…
    Un murmure parcourut le groupe des passagers, vite dominé par le chef d’escale :
    - C’est un accident. Personne ne peut, à cette heure, établir des responsabilités. Nous assumerons les nôtres. Tous les passagers seront ré-acheminés vers les destinations de leurs choix, tous les frais seront à notre charge, bien entendu. Dans l’immédiat nous sommes en train de réquisitionner des chambres … peut-être d’ailleurs qu’il y en aura ici suffisamment, sinon dans les hôtels voisins.
    John Ripley voulait profiter de son avantage :
    - J’espère que vous n’imaginez pas qu’une nuit d’hôtel compensera les blessures, les dégâts, la perte de nos effets personnels et surtout le risque insensé que vous nous avez fait prendre !
    Le chef d’escale fut provisoirement sauvé par l’arrivée de l’hôtesse Amélie. qui se dirigea vers lui. Ils eurent un court échange et le chef d’escale leva la main pour demander le silence.
    - Notre hôtesse vient de nous apporter les dernières nouvelles des pilotes qui sont toujours bloqués dans le cockpit. Les secouristes ont pu leur faire parvenir deux bouteilles d’air comprimés supplémentaires. C’est tout ce que nous savons.
    Pleinement conscient d’avoir pris le leadership des passagers, John Ripley ignora le chef d’escale et s’adressa à ses compagnons d’infortune :
    - Je vous propose de nous réunir dès demain matin. J’aurais pris contact avec des avocats. Demain, ici, vers onze heures …
    Le chef d’escale qui venait d’avoir un bref échange avec une réceptionniste coupa John Ripley :
    - S’il vous plait ! … Les chambres sont disponibles. Vous pouvez vous diriger vers la réception. Du personnel de la compagnie reste là à votre disposition, n’hésitez pas à faire appel à eux pour tout problème que vous rencontreriez. Toutes les communications téléphoniques, tous les menus frais sont bien entendu à notre charge … Encore désolé pour cette mésaventure.
        … …
    A quelques encablures de l’hôtel, deux plongeurs descendaient dans l’eau noire de l’Erakor lagoon, le halo de leurs lampes-torches trouant avec peine l'obscurité trouble qui avait enseveli le Fairchild où survivaient, peut-être encore, les deux pilotes.


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    Message par eolien Sam 28 Mar 2015 - 10:24

    L'actualité me met en fâcheuse position. Un passage (21 ème épisode, il y a trois semaines ...) de la mésaventure de ce Fairchild coulé dans un lagon entrainait le scénario suivant :

    "- Le captain l’a dit, il y a une autre hache à l’arrière. Si on la trouve, on doit pouvoir défoncer la porte du cockpit. Les montants sont en métal, mais les panneaux me paraissent en … il chercha un mot précis, et n’en trouvant pas conclut : moins solides."

    Bien sûr c'était une autre époque, les portes n'étaient pas blindées ...
    En regard au dramatique accident de l'A320 de GermanWings, je pense que je vais suspendre ce récit quelques temps.


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    Message par eolien Dim 26 Avr 2015 - 15:21

    Il me semble que l'accident de GermanWings commence à disparaitre suffisamment de l'affiche médiatique pour reprendre là où on en était ...

    23 ème épisode :

    ...
    A quelques encablures de l’hôtel, deux plongeurs descendaient dans l’eau noire de l’Erakor lagoon, le halo de leurs lampes-torches trouant avec peine l'obscurité trouble qui avait enseveli le Fairchild où survivaient, peut-être encore, les deux pilotes.


    Grâce à la précision de la navigation d’Ernest, Jim, suivi comme son ombre par Tamatoa, reconnut rapidement l’épave du Fairchild, les torches des deux pilotes formant un timide halo dans l’obscurité poussiéreuse du lagon.
    Jim s’approcha de la fenêtre où pendaient les deux bouteilles d’air comprimé, s’assura d’un regard sur leurs manomètres de leur autonomie restante et colla son masque contre la vitre. Les deux naufragés l’observaient, leurs yeux mi-clos pour résister à l’agression de l’eau de mer. Il devenait qu’ils avaient froid et qu’ils ne pourraient plus tenir très longtemps. Par geste, il essaya de décrire leurs intentions. Tamatoa qui s’était approché lui indiqua sa montre, lui intimant de le suivre, ce que le jeune australien approuva d’un geste conventionnel et bascula à son tour sans plus attendre. « Au moins, se persuada-t-il, de nous voir leur aura remonté le moral … »
    Eclairant le fuselage Tamatoa contourna les vitres du cockpit pour basculer de l’autre côté où il savait retrouver la porte par laquelle il avait évacué l’avion. Ses craintes furent vite confirmées, il ne pouvait pas passer, l’étroit espace qu’ils avaient entr’ouverts à grand peine ne permettant pas le passage d’un homme-grenouille équipé d’une bouteille. Jim s’y essaya mais ayant buté sur la tôle il se retourna, son intention étant de se défaire de son attirail, quitte à se harnacher à nouveau une fois en place.  Tamatoa lui fit un signe et bascula vers l’arrière de l’avion, il longea la série de hublots, évita les pales d’hélice pour arriver au niveau de la porte arrière gauche, celle qui avait été malencontreusement mal ouverte par John Ripley. Après l’avoir secoué et constatant qu’il n’obtenait quasiment aucun résultat, il se propulsa d’un battement par dessus la carlingue et découvrit très vite l’issue des toilette, dont il jugea spontanément l’ouverture assez large pour leur permettre l’accès à l’intérieur de la cabine.
    Une fois en place, il se répartirent les recherches par signe et commencèrent à explorer les lieux.
    Tamatoa reconnu la hache, en saisit le manche et l’arracha de son étui. Pivotant sa grande carcasse en un mouvement gracieux il rejoignit Jim à qui il montra sa trouvaille.

    D’une arabesque, il contourna le jeune australien et s’engagea dans l’allée centrale, s’aidant d’une main en s’appuyant sur les dossiers des sièges qui pendaient, balisage qui les conduisit à la porte de la soute à bagage, toujours ouverte. Il ne put éviter un petit sourire de satisfaction lorsqu’il survola le monceau de bagages éparpillés et se positionna devant la porte du cockpit. Un coup d’oeil par dessus son épaule pour s’assurer qu’il ne risquerait pas de blesser Jim le Poken, son bras armé se leva pour assener un coup du plat de la hache. Jim approuva intérieurement le geste, comprenant que le polynésien voulait d’abord informer les pilotes.



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    Dans le cockpit, le bruit sourd aurait fait sursauter les pilotes s‘ils n’étaient pas dans une forme d’hypothermie passive, et tout ce que le bruit entraina de leur part fut de se retourner autant que les tuyaux qui nourrissait leurs poumons le permettaient.

    Tamatoa se cala du mieux qu’il le put et assena un coup de la pointe de la hache. L’eau freina son geste et la pointe rebondit sur la paroi de la porte. Il fallait frapper plus fort pour être efficace.
    Tamatoa chercha du regard un appui mais il n’y avait rien en vis à vis de la porte sur quoi se caler.
    Jim comprit le problème et balaya l’étroit espace de sa torche dont il figea le faisceau sur le montant qui soutenait les filets à bagages et qui gisait dans un coin de la soute. Il s’en approcha, le saisit, mais il resta bloqué, le filet qui lui était fixé étant écrasé par plusieurs bagages. Tamatoa l’observait, ayant deviné son intention, il pointât du doigt l’emplacement où devait se fixer le tube de métal.
    Tamatoa saisit la première valise qu’il déplaçât, puis, un sac. « Décidément se dit-il, la corvée bagages m’est réservée ce soir … »
    Aidé par Jim, le filet fut dégagé. Ils saisirent le montant qu’ils dressèrent à la verticale. Après quelques tâtonnement le montant fut bien positionné.
    Tamatoa y cala son dos et bandant ses muscles, donna un coup de hache dont l’effet fut partiellement amorti par l’eau. Il renouvela son attaque et constata que la pointe pénétrait à présent dans la paroi de la porte. Faisant un geste de levier, il tira sur le manche de telle sorte que la paroi soit déchirée.

    Petit à petit, par coups répétés il réussit à ouvrir une brèche dans laquelle il glissa et coinça le bec de la hache. Basculant vers l’’arrière tout en se recroquevillant, il plaquât ses deux pieds palmés de par et d’autre de la hache, banda ses muscles et tira de toute ses forces. La hache déchira la paroi de la porte du cockpit sur quelques centimètres. Jim tendit le bras, plaçant son pouce levé dans le champ visuel du polynésien.

    C’est ainsi, de déchirures en déchirures, que Tamatoa réussit à dégager une ouverture suffisante pour permettre à un corps humain de passer.
    Depuis quelques instants ils voyaient les deux pilotes, leurs chemisettes blanches tranchant dans la pénombre du cockpit.

    Tamatoa jugea suffisante la trouée et fit signe aux pilotes. Il prit une inspiration, ôta son embout qu’il tendit à travers la porte.
    Pierre prit l’embout d’une main, le tendit à Régis tout en le poussant de l’autre main. Régis échangea ce nouvel embout contre celui qui le reliait à la bouteille, puis il se glissa par le trou, se redressa maladroitement, un pied sur un sac, l’autre sur une valise.
    Jim s’approcha de la porte défoncée, tendit à son tour son embout et aida le commandant de bord à les rejoindre.

    Sans plus attendre, ils nagèrent de conserve vers la queue de l’avion, partageant à intervalles régulier les embouts.
 Rejoindre la surface où les attendaient Joseph et ses équipiers ne fut qu’un jeu d’enfant.

    Tamatoa tendit la main à Jacques Bouchard qui l’aida à grimper à bord du canot :
    - Vite ! ordonna le polynésien, il faut les réchauffer et les amener à l’hôpital, ils sont en hypothermie !

    Une fois réunis à bord, ils furent recouverts de couvertures et Joseph mit plein gaz vers la rive toute proche.

    Le lendemain matin, le vent soufflait encore mais les nuages fragmentés, les coins de ciel bleu et l’absence de pluie confirmaient que la dépression tropicale était partie déverser sa furie ailleurs.
    Il y avait foule sur les bords de L’Erakor Lagoon pour observer les embarcations qui s’affairaient au-dessus du Fairchild dont on distinguait assez bien l’épave qui reposait sous quelques mètres d’eau.
    Quelques poissons commençaient à s’y aventurer. Un oiseau de mer poussa un cri moqueur et s’élança adroitement en s’élevant d’un battement d’aile gracieux, le bec fendant les alizés.


    à suivre ...


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    Détresse sur le Pacifique - Page 2 Empty Re: Détresse sur le Pacifique

    Message par eolien Dim 31 Déc 2017 - 19:32

    Le roi 2017 est mort ... vive le Roy 2018 !
    Aux amateurs de ce récit, je propose un nouvel épisode des aventures d'un pilote dans le Pacifique Sud. Episode de transition, un tantinet long mais vous n'êtes pas obligé de le lire !...
    Meilleurs voeux pour la nouvelle année et bonne lecture !

    24 ème épisode :


    Une rafale de vent plus forte que les autres courba les cocotiers dont la couronne foliaire était effilée comme le seraient les cheveux longs d'une femme exposés au même souffle furieux.

    D'un coup de volant adroit Pierre évita une noix de coco encore accrochée à sa branche. Quelques mètres plus loin  il put distinguer un cocotier allongé en travers de la route. Sur les côtés le vent essayait de plumer les têtes qu'il pliait jusqu'á en arracher une très vieille feuille, qu'il jetait alors sans précaution de-ci de-là, au hasard de ses caprices impétueux. A travers le rideau de pluie il contourna l'obstacle et repris sa route vers l'aéroport de Wallis, à présent peu éloigné.
    Une fois sa voiture parquée au plus près du bureau des opérations il prit sa sacoche et couru sous l'averse alors que sa chemisette d'uniforme blanche se collait à sa peau en quelques enjambées.
    " Ia ora, quel sale temps ! jeta-t-il aux deux agents en tenue d’uniforme tout en pénétrant à la hâte dans le petit bureau. Une polynésienne d'une quarantaine d'année, Paola, les cheveux noirs tirés en arrière en queue de cheval lui sourit.
    - Ia ora ! Une dépression et du vent, de la pluie, elle leva ses deux mains, tout ça c'est normal ..."
    - Et le docteur ? s'enquit le pilote.
    - Il sera en retard ... peut-être une demi-heure.
    Pierre fit la grimace, jeta un coup d'œil à sa montre et fit part de ses inquiétudes en maugréant.
    - Voilà qui n'arrange pas nos affaires ... nous n'avons que peu de marge si nous voulons décoller de Futuna avant la nuit. Est-il au courant qu'il n'y à pas de piste balisée à Futuna ?
    Une rafale de vent balaya la pièce alors qu'un agent en tenue de travail pénétrait dans le bureau tout en se débarrassant de son imperméable ruisselant. Il salua le pilote :
    - Nous avons déjà fait un pré-plein et vous avez quatre heures de pétrole. Nous avons installé la civière, l'avion est OK pour le vol.
    Paola lui présenta le dossier de vol en précisant :
    - Le toubib est sur une urgence et fait au plus vite ...
    Parce qu'une évacuation sanitaire ce n'est pas prioritaire ... maugréa Pierre.
    Quelques minutes plus tôt Paola l'avait appelé. Une femme enceinte était au plus mal et l’infirmière de Futuna était en Vacances à Nouméa. Une aide-soignante demandait une évacuation sanitaire de toute urgence avec l'assistance d'un médecin.
    Pierre ouvrit le dossier de vol qu'il parcourut avec Paola.
    - Que dit la météo ?
    - Les prévisions sont … aléatoires … des coups de vent, des averses … commenta Paola tout en laissant son doigt glisser sur une feuille où elle avait copié tout ce que l’agent du petit bureau météorologique lui avait rapporté. Entre, du mauvais temps … quoiqu’il en soit, d’ici à Futuna c’est la même chose… c’est surtout le vent …
    - On décidera en dernière minute.
    Une fois toutes les dispositions prises, le pilote décida d'aller à l'avion.
    - Prévenez-moi si vous avez des nouvelles du toubib. Il faut que je décolle d'ici une demi-heure maximum si nous voulons conserver une chance d'un décollage de Futuna avant la nuit...
    Il entrouvrit la porte et se ravisa.
    - Avec ce vent un parapluie est inutile ... pouvez-vous me prêter un imperméable le temps de faire la visite pré-vol ?
    Une fois le tour de l'avion effectué, avant de gagner son poste, il vérifia la civière. Trois rangées de sièges avaient été enlevées et la civière était fixée sur l'emplacement ainsi libéré. Il la secoua pour vérifier les fixations, puis, satisfait de son inspection il referma la porte et contourna le nez de l'avion pour rejoindre le poste de pilotage du petit bi-moteur, un Britten Norman Islander.

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    La préparation de son cockpit lui prit très peu de temps. Pierre jeta un œil à sa montre, soupira et se relaxa.
    « Décidément, ragea-t-il intérieurement, c'est toujours sur moi que ça tombe …
    il eut une pensée pour Paul, le directeur des Opérations de Nouméa ... sa rêverie le ramena à l'affaire de l'Erakor Lagon.

    Paul l'avait appelé tôt le lendemain de l'accident. De l'hôpital où il s'éveillait il l'avait rassuré ; on lui avait posé quelques points de suture sur le crâne, il aurait voulu suivre le copilote et l'hôtesse qui étaient venus le visiter à l'hôpital mais le médecin avait interrogé Régis :
    - Combien de temps est-il resté inconscient ?
    - Dans le cirage ?… dix, peut-être quinze minutes et patraque une bonne demi-heure.
    - Vous allez rester avec nous, avait alors ordonné le médecin. Il faut s'assurer qu'il n'y a pas d’épanchement.
    S'il souhaitait sincèrement prendre de ses nouvelles, Paul avait aussi un message à faire passer.
    - Pierre, vous allez être interrogé par les autorités locales ... il s'interrompit un instant ... quand pensez-vous être en état de rentrer à Nouméa ?
    - Dès à présent. Si j'écoute le corps médical j'en ai pour quelques jours en observation … Cette nuit ils m'ont empêché de dormir car ils venaient me faire passer des test toutes les heures ... du genre suivre un doigt du regard, tenir en équilibre sur un pied ! Bref, tout va bien, l'effet d'hypothermie a disparu et je suis simplement un peu vaseux ...
    - Justement, insista le directeur des OPS, le choc post traumatique, l'effet de stress ... moins vous en direz, mieux ce sera ... on peut dire des choses que l'on regrette après avoir dites ... vous me comprenez ?...
    - Tout a fait …
    - Je vais venir par le premier vol et nous rentrerons à Nouméa ensemble. Je viendrai avec quelques responsables de la compagnie mais sans le chef-pilote qui est en rendez-vous à la DGAC de Nouméa. Prétextez de votre état de fatigue pour ne dire que des généralités. Dès mon arrivée je verrai les autorités locales pour votre rapatriement, ainsi que celui de l'équipage. Nous sommes en bons termes et il ne devrait pas y avoir de problèmes. Mais, ajouta-t-il, en raison des problèmes politiques liés à l'indépendance, il faut être prudent. Je vais tout faire pour qu'ils ne vous retiennent pas tous les trois comme témoins.
    - J'ai bien compris et ...
    - Excusez-moi commandant, le coupa Paul, mais je dois embarquer. De votre côté faites passer ce message ... Merci, remettez-vous bien, et soyez assurez de notre soutien. À tout à l'heure !
    - Merci, bon vol !

    Compte-tenu de l'heure très matinale, Pierre avait prévenu l'infirmière de garde et passant outre ses mises en garde il avait quitté l'hôpital pour gagner à pied l'hôtel où son équipage avait été hébergé.
    Les rues jonchées de débris de toutes sortes témoignaient de la violence de la nuit.
    De la réception il avait appelé tour à tour le copilote et l'hôtesse, leur donnant rendez-vous au plus vite au restaurant pour y prendre leur petit-déjeuner, arguant qu'il n'y avait encore quasiment personne.
    Une fois réunis autour d'un petit-déjeuner copieux Pierre coupa court à leurs questions :
    - Avant toutes choses, je dois vous faire part d'une ... recommandation ... non, il chercha un terme plus approprié, … disons d'un conseil de la compagnie par la voix du directeur des OPS.
    Il nota leur regards interrogatifs et précisa :
    - Paul m'a appelé tout à l'heure et est en route pour venir d'une part s'entretenir avec les autorités locales et d'autre part essayer de nous rapatrier avec lui à Nouméa dans la journée. Il a un message à faire passer auprès de nous qui est d'en dire le moins possible aux autorités qui vont nous questionner. À savoir la GTA, la gendarmerie du transport aérien, la DGAC, et, puisqu'il y a eu des blessés, probablement un juge d'instruction sera nommé ...
    - Et ben !... s'exclama l'hôtesse Amelie en se passant la main dans ses cheveux blonds.
    - Il est vrai que sous le coup de l'émotion on pourrait dire des choses que l'on regretterait ensuite d'avoir dites, c'est d'ailleurs mot pour mot ce qu'a dit Paul.
    Pierre les scruta tour à tour et insista :
    - Donc, vous avez bien compris, tant qu'on a pas pris un peu de recul, tant qu'on a pas eu de contact avec notre compagnie moins on en dit  ...

    Une serveuse s'approchait et ils passèrent leurs commandes.
    - Mais qu'a-t-on fait de mal ? s'insurgea la jeune hôtesse.
    - Tu sais, lui répondit Régis, il y a eu un accident ... et pas ordinaire, railla-t-il avec un rire forcé, un avion perdu .... des responsabilités, il jeta un coup d'œil au commandant de bord, des recherches de responsabilités, les assurances, la DGAC, la GTA ...un juge, comme tu viens de le dire. Bon, ajouta-t-il pour rassurer Pierre, je ne vois pas ce que l'on pourrait nous, où te reprocher...

    Pierre resta quelques secondes silencieux puis leur demanda de lui raconter ce qu'ils avaient vécu, notamment à l'hôtesse Amélie.
    - Hier soir, lorsque vous êtes passés à l'hôpital, j'étais un peu dans le cirage et je ne me souviens plus très bien de ce que vous m'avez dit ...
    - Tout d'abord, s'inquiéta l'hôtesse Amélie, comment vas-tu ?
    - Merci, ça va … Pierre avait penché la tête, et en tâtonnant avec les doigts avait écarté ses cheveux, découvrant une rangée de points de suture. Fatalement, commandant de bord d'un avion qui gît au fond du lagon, et même s'il n'y a pas eu de victimes, je ne suis pas fier de moi …
    (C’est bien ce que je crois, s'était intérieurement dit le copilote qui avait bien noté l'expression soucieuse du commandant, d'habitude souriante.)
     - Alors Amelie, raconte-moi ce que tu as vécu.
    - La jeune hôtesse regarda par-dessus son épaule et prévint :
    - Voilà des passagers ...  elle chuchota à l'intention des pilotes : ils savent tous ce qu'il s'est passé lors de votre séjour au fond de l'eau. En général ils ont été très compréhensifs ...

    Pierre leva un sourcil interrogateur alors qu'Amélie se levait pour les accueillir d'un grand sourire chaleureux. Les pilotes observèrent avec curiosité le couple d'un certain âge qui échangeait leurs impressions avec la jeune fille, se coupant la parole au gré de leur excitation. Habillés comme des touristes australiens, shorts bariolés sans aucun harmonie avec la couleur de leurs tee-shirts, tenues de fortune probablement prêtées par l'hôtel. Il se demandait quelle serait leur attitude envers ceux qui avaient conduit le vol vers une si piètre et calamiteuse destination. Son interrogation fut de courte durée car l'hôtesse les conduisit à leur table pour les présenter tandis que d'autres passagers se joignaient au groupe.
    Les premiers échangent, amicaux, portèrent sur leur survie alors qu'ils étaient prisonniers dans la carlingue transformée en épave échouée sur un banc de sable. Des passagers posaient des questions mais n'avaient pas la patience d'attendre la réponse, impatient de conter leurs propres aventures.
    Pierre cherchait un échappatoire pour pouvoir discuter en toute discrétion avec son équipage.

    Il ne se doutait pas que dans une chambre voisine de la leur, John Ripley terminait sa toilette de mauvaise humeur. Dès son réveil les échanges qu'il avait tenu la veille au soir lui revinrent en mémoire. Il n'avait pas hésité à appeler son avocat malgré l'heure tardive, lui décrivant les circonstances de l'accident auquel, il en était convaincu, il n'avait réchappé que par un heureux concours de circonstances.
    -  Nous devons poursuivre les pilotes et la compagnie. Ces français sont des dangereux amateurs ! Il faut obtenir le licenciement de l'équipage et des dommages substantiels !"
    - Avant toute chose, avait conseillé l'homme de loi, il faut réunir des preuves d'une faute où d'un manquement aux règles de sécurité. Bien évidemment l'étude des prévisions météorologiques sera déterminante à cet égard. Ensuite, il faudra s'associer à un cabinet spécialisé pour ce qui est du comportement de la compagnie et de l'équipage pour préciser les responsabilités et les fautes éventuelles.
    - Elles sont évidentes, s'indigna John Ripley, ils ont failli nous crasher à Espiritu Santo pour finir dans un amerrissage complètement raté à Port-Vila ....
    - J’entends bien. Mais faut-il pouvoir démontrer qu’il y a eu négligence ou atteinte délibérée à la sécurité. Il s’agit d’une compagnie française de bonne réputation, placée sous la surveillance d’une autorité de tutelle sérieuse. Par ailleurs, il faudra déterminer notre stratégie, et décider d'une action individuelle ou collective.  Cette dernière formule, sous forme d'un association de victimes, serait sûrement plus efficace. Il faudrait pour satisfaire à cet objectif convaincre un maximum de passager de se joindre à notre action. C'est à vous de les sonder pour en réunir autant que faire se peut … car il y aura des frais …
    - Je vais m'en occuper, assura John Ridley ...                                                                                                                         
    - N'oubliez pas une ligne directrice de notre action, insista l'avocat, à savoir qu'il faut apporter la réalité de la preuve. En schématisant, les droits de trafic de la compagnie, l'état de l'avion avant le départ, les conditions d'exploitation, météo, carburant, charge, et les qualifications et compétences de l'équipage. Tout ce que l'on pourra trouver à charge.

    John Ripley aurait aimé trouver plus de soutien dans les propos de son avocat. « Faut-il prouver la faute ! » rugit-il intérieurement.
    Alors John Ripley endossa le costume du justicier, de celui qui allait démontrer combien la dangerosité de cette compagnie française et de ses équipages était manifeste, avec en point d’orgue la satisfaction de mettre fin à leurs activités ce qui préserverait le monde de nouvelles catastrophes.


    La pluie s’était calmée, à travers le pare-brise Pierre pouvait apercevoir les limites de l’aéroport. Un coup d’oeil à sa montre le fit grimacer. « Encore dix minutes et il faudra décider … »
    Le mauvais temps, ce vol à entreprendre en bordure d’une dépression tropicale, les décisions lourdes de conséquences, les risques pour le devenir de sa carrière activèrent ses souvenirs.

    Il n'avait eu qu'un seul appel téléphonique du chef-pilote Courtaud, celui-ci se bornant à un constat déplaisant :
    - Tu nous as fait perdre un avion, mais fort heureusement la chance était au rendez-vous et il n'y a aucune victime à déplorer. Certes, ce regrettable accident va entacher la réputation de la compagnie et nous travaillerons à réparer les dégâts.
    Il s’interrompit un instant avant d’ajouter :
    - Quand au plan professionnel, nous verrons s'il y lieu d'engager des suites disciplinaires. Je ferai bien évidemment mon possible pour minimiser ta responsabilité dans cette affaire.
    L'entretien avait tourné court, Pierre ne voulant dévoiler aucun de ses arguments dans un tête à tête.
    - Nous en parlerons lors de la réunion qui devrait avoir lieu rapidement, j'y exposerai ma version des choses.

    Le directeur des opérations s’était déplacé à l’aéroport de Port Vila pour les accueillir et avait tenu à les féliciter pour avoir réussi à amerrir sans faire aucune victime, mettant l’accent sur la prise en compte des conditions météorologiques exceptionnelles dont la rapide dégradation avait surpris tout le monde.
    Tout accident étant l’objet d’enquête de la part des autorités, ils convinrent qu’un entretien préalable avec les responsables de la compagnie était indispensable.
    Paul avait proposé au commandant de bord de prendre un ou deux jours de repos avant de se réunir pour ce debriefing, mais Pierre l'avait remercié, insistant pour que cet entretien ait lieu au plus vite. Il fut fixé au lendemain matin.

    L'entretien eût lieu au siège de la compagnie, à Nouméa, dans la salle de conférence. Cette pièce, toute en longueur, était principalement meublée d’une longue table aux extrémités arrondies.

    Paul vint accueillir chaleureusement le commandant de bord pour le conduire vers le directeur de la compagnie qui bavardait en présence de Jacques, le directeur commercial, et du chef-pilote Courtaud.

    Son échange de poignée de main avec celui-ci fut froide et brève.
    Puis il salua les autres personnes conviées à ce débriefing, tous responsables d’un service, maintenance, financier, administratif.
    Lorsqu’ils furent tous assis, Pierre fut invité à faire un rapport complet des évènements qui l’avaient conduit à cet amerrissage forcé.


    Il exposa par le détail le déroulement des péripéties de ce vol, expliquant comment la panne était survenue et avait été traitée, avec pour conséquences l'arrêt du moteur droit.
    - Es-tu certain que ce n'était pas une fausse alarme, l'interrompit le chef-pilote, et que l'arrêt du moteur était justifié ?...
    - Il y avait une alarme de panne et nous avons appliqué la check-list correspondante ! s'insurgea Pierre.
    - Mais dans certaines conditions, poursuivit Courtaud en prenant un ton professoral, qui plus est en se dirigeant vers une tempête tropicale, il faut aussi savoir faire preuve de bon sens et vérifier si on ne peut pas éviter d'arrêter un moteur en mettant un avion de transport de passagers en péril !...
    - Si tu penses qu'il ne faut plus suivre à la lettre les procédures de secours, alors tu publies une note de service en ce sens ... mais ça m'étonnerait que le motoriste et les autorités de certifications l'acceptent, rétorqua froidement Pierre, déjà en proie à une rage contenue.

    Sentant la discussion sur le point de déraper Paul intervint en regardant alternativement le chef-pilote et le directeur de la compagnie :
    - Il n'est pas question de contester sur ce point la décision du commandant de bord : il y a eu une panne, suivi par l'application stricte d'une check-list. L'arrêt moteur s'imposait. Et même si on découvrait a posteriori qu'il s'agissait d'un défaut ayant entraîné une fausse alarme, le devoir du commandant de bord était d'appliquer la procédure. Je n'ose imaginer le désordre qui s'installerait si on laissait toute latitude aux équipages d'appliquer les procédures quand bon leur semble...
    - Non, pas quand bon leur semble, se défendit le chef-pilote, mais quand l'analyse peut le justifier. L’analyse de panne fait partie des règles de l’art. Une procédure n’empêche pas la réflexion. Chaque pilote doit exercer son bon sens et son expérience pour trouver qu’elle est la meilleure procédure à adopter lorsque les circonstances mettent en péril l'avion et ses passagers. Mais je reconnais que l’expérience de Pierre sur cet avion n’est que de quelques mois ...

    Pierre leva la main :

    - Je crois qu’il est important de clarifier ce que monsieur Courtaud insinue : il y a eu allumage du voyant rouge indiquant une surchauffe de l’alternateur. La check-list correspondante est très simple. Mettre le Switch sur « OFF », attendre cinq minutes. Si le voyant est toujours allumé : arrêt moteur !... Nous avons attendu trente secondes au-delà des cinq minutes avant d’arrêter le moteur.
    Pierre fixa Courtaud et lui demanda :
    - Que fallait-il faire ?...
    -  Tout d’abord, se défendit Courtaud, je n’insinue rien. Je pose une question. Tout de même s’insurgea-t-il en regardant son auditoire, nous avons perdu un avion, on est en droit, tous ici en tant que responsables et moi-même en tant que chef-pilote, de savoir si ce qui a été fait correspondait bien à la situation et si on ne pouvait pas faire … je ne dirais pas faire mieux… mais autrement !
    - Je reviens à ma question : que fallait-il faire ? insista Pierre.
    - Une analyse du bilan électrique me paraît déjà un point intéressant. Vérifier les tensions et fréquences…
    - Supposons qu’il y ait eu une anomalie… Qu’aurais-tu fait ?... le poussa Pierre, qui voulait aller au bout de la réflexion.
    - Tout dépend du résultat… fit Courtaud, avec un geste vague de la main.
    - Non, je ne suis pas d’accord. Tu laisses entendre que l’arrêt moteur pouvait être évité. C’est en soi une accusation très grave, car elle sous-entend une faute professionnelle. J’ai le droit de savoir quelle est cette faute. Si l’arrêt moteur pouvait être évité, tu dois nous dire comment. Nous avons eu cinq minutes pour réagir, toi tu as eu deux jours pour y réfléchir. Tu m’accuses, tu dois dire ce que j’aurais dû faire !
    Il ne faut pas perdre de vue un élément important, ajouta le commandant de bord en regardant tour à tour chacune des personnes présentes, c’est qu’il est bien précisé dans le libellé de la procédure de surveiller le moteur une fois qu’il a été arrêté, pour détecter l’apparition éventuelle d’un incendie. C’est dire le niveau de risques encourus !...
    Courtaud sourit avec un air gauche car il sentait bien que Pierre voulait le pousser à quitter le domaine de l’insinuation pour se déclarer sur une position ferme.
    - Non, je ne t’accuse pas, loin de là … se défendit-il. Je pose une question pour savoir si toutes les options possibles ont été envisagées…
    Le directeur de la compagnie l'arrêta d'un geste de la main.
    - Puisque la procédure le demandait, il n'est pas question de remettre en question le bien fondé de la décision qui a été prise d'arrêter le moteur. Nous sommes tous d’accord là-dessus…
    Le directeur s’adressa au responsable technique :
    - Avez-vous une position à exposer sur cette panne et le traitement qui a été réalisé par l’équipage ?
    - Non. Ce qui a été fait me parait correspondre avec ce qu’il fallait faire. C’est l’analyse de la génératrice qui pourra nous en dire plus … ce qui ne remettra pas en question ce que l’équipage a fait.
    - Bien. Nous vous écoutons, commandant, que s’est-il passé ensuite ?...

    Pierre hésita à poursuivre la polémique. Son regard croisa celui du directeur des opérations qui d’une moue discrète lui conseilla de ne pas insister. Il se concentra une seconde :
    - A partir de là, nous étions en situation d'urgence et nous avons décidé de poursuivre sur Espiritu Santo, puisque la seule météo de Port Vila disponible était déjà périmée, et rien ne permettait de penser que le temps y serait meilleur.
    - Et le retour sur Hionara ?... questionna le chef-pilote.
    - Nous avions largement dépassé le point de non retour....
    - Ah bon ?... fit Courtaud avec une moue faussement étonnée, tout en feuilletant des papiers de la main, parce qu'à la lecture des messages radio que j'ai eu des Fidjiens, la chronologie n'était pas évidente... Bon, passons…
    Pierre fronça les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir, résista à la tentation de répondre et poursuivit son récit, racontant par le menu leur arrivée sur Espiritu Santo, se félicitant de la parfaite collaboration du copilote et de l'hôtesse.
    - Je tiens à insister sur ce point : le copilote et l'hôtesse ont toujours fait preuve de professionnalisme et leur parfaite collaboration m'a été d'un grand secours. J'ai pu m'appuyer sur eux et profiter de leur excellent état d'esprit.
    - Une seconde, dit Courtaud. Nous allons avoir la DGAC et le BEA, le Bureau Enquêtes Accidents sur le dos. Ils ne se contenteront pas de réponses évasives ou de discours sur les qualités avancées des uns ou des autres. Vous êtes entrés dans l’entonnoir, il y a bien un moment où il était encore temps d’en sortir …
    Il prit son monde à témoin :
    - C’est toujours ainsi dans les histoires d’accidents… Il y a toujours un moment où il était encore possible de faire quelque chose. Après, les évènements s’enchaînent et c’est trop tard. C’est destination désastre ! conclut-il avec emphase, d’évidence ravi de son intervention.
    Tout le monde regarda Pierre, espérant une réponse à cette accusation à peine déguisée.
    - Si la panne avait eu lieu avant le point de non retour, effectivement, le déroutement aurait été Hionara. Mais la panne est survenue bien après et l’aérodrome le plus proche était Espiritu Santo … A cet instant toutes les informations à notre disposition donnaient une météo compatibles avec nos minimas.
    - C’est à partir de là, je veux dire lorsque vous avez été proches de Santo que la météo s’est rapidement dégradée ?... questionna Paul.
    - Oui, nous avons rencontré des lignes de grains, avec de nombreux orages, mais c’est surtout le vent qui a brutalement forci, accompagné d’une très forte pluie.
    Pierre commenta leur approche et l’échec de leur tentative d’atterrissage. 
    Courtaud sauta sur l’occasion pour couper court à son propos :
    - Donc, tu as raté ton approche à Santo et vous avez dérouté sur Vila... J'avoue ne pas très bien comprendre cette décision lorsque l'on sait que finalement il y faisait le même temps qu'à Santo. D’autant plus que tout le monde sait que l’aéroport est au centre d’un cirque avec du relief tout autour...
    - Non, je n'ai pas "raté" mon approche, se défendit Pierre en insistant sur le mot, mais les conditions de vent et de visibilité se sont sans cesse dégradées.  Nous avons eu de grandes difficultés à conduire l'approche. Je vous rappelle que la balise radio-compas était inutilisable et que nous sommes descendus sur la mer…
    - Une méthode qui ne respecte aucune des procédures publiées et donc sujette à caution, objecta Courtaud. Je crains que la DGAC ne demande quelques explications… fit-il avec la mine exagérée de quelqu’un qui s’attend à avoir de gros ennuis.
    - Tu as fort justement soulevé la nécessité pour un équipage d’exercer son bon sens et son expérience. C’est ce que nous avons fait ! Puisque le radio-compas était inutilisable, nous avons navigué avec le seul instrument disponible, à savoir le radar dans sa fonction MAP. De nuit, avec un moteur en panne, dans du très mauvais temps, comment faire autrement ?... Quel moyen utiliser pour suivre une trajectoire d’approche nous conduisant vers l’axe de piste avec un niveau de sécurité suffisant ?...
    - On verra bien comment la DGAC va apprécier votre manœuvre, marmonna le chef-pilote. Moi, tout ce que j’en dis, c’est pour permettre de trouver des arguments afin de répondre aux erreurs que vous avez pu commettre…
    - Il ne s’agit pas d’erreur, rétorqua Pierre en prenant tous les participants à témoins, mais d’une manœuvre délibérée, réfléchie. Il fallait atterrir, le temps pressait, tant à cause de la dégradation des conditions météorologiques, que pour limiter autant qu’on le pouvait le temps de vol en monomoteur.
    Courtaud se tourna vers le directeur commercial :
    - Si la DGAC met le doigt sur des manquements à la sécurité, notre réputation auprès de la clientèle va en souffrir…
    - Je n’ai rien relevé jusqu’ici qui puisse remettre en question notre réputation … tempéra Jacques. Par ailleurs, nous n’avons aucun intérêt à soulever des problèmes là où il n’y en a pas…
    Jacques regarda le directeur de la compagnie :
    - Notre image commerciale peut très bien sortir pour le moins intacte, si ce n’est grandie de cet accident au vu des circonstances si l’on sait les valoriser…
    - Alors, si l’image commerciale prime sur la sécurité !... s’insurgea le chef-pilote en se reculant sur sa chaise.
    - Non, bien sûr que non ! protesta le directeur des opérations, Il est hors de question de ne pas placer la sécurité ailleurs qu’au premier plan. Mais je rejoins Jacques lorsqu’il dit qu’il n’est pas nécessaire de chercher des problèmes là où il n’y en a pas. Cet accident a été assez complexe, avec des conséquences suffisamment graves, pour ne pas en rajouter.
    Paul fixa d’un air peu amène le chef-pilote puis se tourna vers Pierre qu’il invita à reprendre son exposé.
    Celui-ci le regarda une seconde puis repris son discours :
    - En courte finale, puis à l'arrondi, près du sol, l'avion n'était plus pilotable...
    - Tout cela reste dans les limites de certification, tempéra Courtaud.
    - Non, justement, ils étaient au-delà des limitations vent de travers. Combien aviez-vous ? demanda Paul en regardant Pierre.
    - Des rafales à 40 nœuds.
    - Pour un avion limité à 25 nœuds, c'est largement au-delà de la certification ! Vous avez donc pris la décision d'interrompre l'atterrissage ?...
    - Oui, reprit Pierre. L'avion était incontrôlable, les essuie-glaces ne parvenaient plus à évacuer la pluie, nous n'y voyons plus... Nous avons failli toucher de l'aile sur une rafale.
    - Il aurait peut-être fallu remettre les gaz plus tôt, insinua le chef-pilote.
    - Je savais que la météo à Port Vila était presque aussi mauvaise, poursuivit Pierre qui ignora la remarque de Courtaud, et je voulais tout essayer pour se poser à Espiritu Santo. Car au-delà des problèmes liés à la météo, nous étions en monomoteur…  et un problème sur le deuxième moteur...
    - Oui, précisa Paul pour le directeur de la compagnie, la consigne en cas de panne d'un moteur est de se dérouter vers l'aérodrome le plus proche ...
    - Oui, bien sûr, répondit celui-ci, poursuivez commandant.
    - Nous avions prévu de refaire une tentative, mais au vu de l'expérience de cette approche, convaincu que l'atterrissage était impossible, j'ai renoncé et nous avons dégagé vers Port Vila, où nous espérions encore trouver de meilleures conditions.
    - Si je comprends bien, persifla le chef-pilote avec un petit sourire moqueur, tu as décidé d'aller à Espiritu Santo parce que la météo était meilleure qu'à Port Vila, puis finalement, après avoir frôlé l'accident, tu as décidé d'aller à Port Vila parce qu'il y faisait meilleur qu'à Espiritu Santo...
    - On peut le présenter comme cela ! répondit froidement Pierre. Sur l’instant, tenter l’atterrissage à Espiritu Santo était la meilleure option. Ensuite, aller dégager à Port Vila devenait le seul choix possible. Je te rappelle, dit-il en fixant le chef-pilote dans les yeux, qu’il était impossible d’avoir une météo récente de Port Vila !... Ni par radio, ni par télex ! Toutes les liaisons étaient coupées. Alors, maintenant que l’on connaît tous les éléments de ce vol, on peut refaire l’histoire …
    - C'est là le fond de l'affaire, intervint Paul en se tournant vers le directeur de la compagnie, le déplacement rapide de la dépression tropicale a surpris tous les prévisionnistes. Les pluies diluviennes ont été d’une rare intensité, tous les observateurs le soulignent, il suffit de lire la presse ! D'ailleurs s'il y a une leçon à tirer de cette affaire, ce sera de mettre au point une procédure d'alerte conduisant à aller jusqu'à l'annulation du vol. Mais excusez-moi commandant, ajouta Paul avec un sourire amical vers Pierre, poursuivez, nous en étions au dégagement vers Port Vila ...

    Pierre rapporta les événements essentiels du vol de Santo vers Port Vila en commentant les raisons qui les avaient contraints à décider l'amerrissage dans l'Erakor Lagoon.
    - Le vent avait forcit, atteignait et dépassait 50 noeuds, l'avion n'était plus contrôlable. Les turbulences en approche finale étaient telles que même sans la pluie diluvienne il aurait été impossible de se poser. Nous avons fait une approche mais les conditions étaient pires qu'à Santo. J'ai remis les gaz très tôt, vers 300 pieds, et nous en avons profité pour faire un premier  passage sur l'Erakor Lagoon, où nous avons pu constater deux choses : l'avion était bien plus facilement pilotable face au vent, et il n'y avait pas de traces visibles de vagues à la surface de l'eau du lagon.
    Paul et les deux directeurs écoutaient attentivement leur pilote décrire les conditions effroyables qui avaient contraint l'équipage à aller amerrir sur cette langue d'eau, au beau milieu de la tempête et de la nuit.
    - Nous avons décidé de tourner au large jusqu’à épuisement du carburant pour éviter un risque d’explosion ou d’incendie en cas de gros dégâts de structure lors de l’amerrissage. Amélie avait bien fait son travail pour préparer la cabine et avait déjà disposé des passagers requis pour l’aider à l’évacuation.

    Pierre regarda alternativement les personnes présentes :
    - L’amerrissage fut difficile à cause des turbulences bien sûr, mais aussi en raison de la pluie qui ne permettait pas d’apprécier la hauteur par rapport à l’eau. L’essentiel était de ne pas toucher trop cabré, pour éviter un choc violent de la queue.
    Pour mieux se faire comprendre, Pierre mit sa main à plat, simulant l’angle de cabré de l’avion.
    - J’y suis allé un peu à tâtons, en essayant de jouer sur un compromis : rechercher une vitesse la plus faible possible tout en gardant une assiette horizontale … et tout en laissant descendre l’avion. D’un autre côté, il ne fallait pas traîner et risquer de dépasser l’extrémité du lagon et de se retrouver en mer libre… On a dû jouer entre tous ces facteurs et trouver un compromis.
    Pierre soupira : 
    - Finalement, je trouve que cela s’est plutôt bien passé. Dans ce cumul de difficultés, ce que j'ai énormément apprécié, c'est le comportement de Régis, le copilote, et d'Amélie, notre hôtesse. Toujours calmes, toujours disponibles, toujours anticipant et me faisant profiter de leurs propres compétences. Dans des circonstances aussi défavorables, leur concours m'a été précieux, et la rapidité de l'évacuation en est la parfaite illustration, conclut Pierre.
    Paul hocha la tête et demanda comment ils avaient ressenti le choc lors de l’amerrissage :
    - L’impact a été sévère. De jour, on aurait pu affiner le toucher sur l’eau. Mais je dois avouer que je laissais l’avion descendre au jugé et que nous ne savions pas si nous étions à trente centimètres ou à deux mètres de hauteur…
    - L’avion n’a pas eu de dégâts importants, remarqua Paul, c’est donc que vous avez su l’amener à l’eau … disons avec suffisamment d’adresse …
    Il questionna le directeur de la compagnie du regard et celui-ci demanda :
    - L’évacuation n’a pas posé de problèmes particuliers ?...
    Pierre secoua la tête, les deux mains ouvertes :

    - A partir de là il vous faudra interroger le copilote et, surtout, l’hôtesse car je suis resté inconscient quelques minutes et lorsque j’ai repris suffisamment de lucidité l’avion avait commencé à couler. Si je suis là, c’est grâce au copilote.
    Il observa son auditoire :

    - Ce que j’ai appris, c’est qu’un peu plus tard dans la soirée, le copilote et l’hôtesse ont été regroupés avec les passagers à l’Hôtel Erakor. Ils vous diront que certains passagers qui avaient frappé de la tête le siège devant eux sont restés groggys quelques instants. Beaucoup se sont blessés en détachant leurs ceintures sans précautions et ont lourdement chuté sur la tête … Au fond, le temps qu’ils ont mis à récupérer leurs esprits a permis d’éviter une trop grande bousculade. L’avion a été très vite évacué puisqu’il flottait … l’hôtesse Amélie a fait un superbe travail.

    - Il reste un point à évoquer, enchaîna Courtaud, c’est l’impact qu’aura cet accident sur l’image commerciale de la compagnie. Il se tourna vers le directeur commercial et continua, prenant un air faussement contrit tout en cherchant son appui. Les passagers sont fort mécontents de la manière dont ils ont été traités, ce que l’on peut comprendre…
    - Je suis désolé de vous contredire, le coupa le directeur commercial, mais j’ai déjà rencontré plusieurs passagers et, à quelques exceptions près, tous ont été unanimes à souligner la qualité du service et du comportement de l’équipage, notamment de la jeune hôtesse.
    Un bref silence s’installa, rompu très vite par le directeur de la compagnie qui demanda à Paul s’il souhaitait dire quelque chose.
    - Messieurs, nous avons fait le tour de la question et le résultat démontre sans ambiguïté que le commandant de bord et son équipage ont fait ce qu’il fallait faire dans des conditions extrêmement difficiles. Pris au piège de conditions concomitantes totalement imprévisibles, leur compétence et leur professionnalisme ont permis d’éviter une catastrophe. Nous devrons tous, tous, insista-t-il en fixant le chef-pilote, nous aligner sur cette position. Nous inviterons très vite le copilote et l’hôtesse pour qu’ils nous précisent tout ce qu’il s’est passé une fois l’avion immobilisé.

    Le directeur de la compagnie se leva et vint serrer la main de Pierre pour le féliciter tout en l'assurant du soutien de la compagnie, bavarda encore quelques instants, puis, il prétexta des graves événements qui se déroulaient aux Nouvelles-hébrides pour prendre congé, entraînant le directeur commercial et le chef-pilote avec lui.

    Dès qu'ils furent seuls, Paul arbora un large sourire :
    - Voilà, l'entretien s'est bien déroulé !...  Il baissa la voix et ajouta avec un air ironique : Courtaud a bien essayé quelques piques, mais c'était stupide, inutile, et je peux vous dire qu'il ne sortira pas grandi de cette affaire.
    Pierre resta silencieux quelques instants avant de trouver la bonne réponse :
    - Il n'aura de cesse de me prendre en défaut. Il ne voulait pas de moi ici, et il ne me pardonne pas d'avoir été imposé par la direction de Paris. J'ai entendu dire qu'il avait promis le poste à un de ses anciens collègues de l'Armée de l'Air.
    - C'est exact, approuva Paul, mais ce n'est pas lui qui décide, et votre cas si particulier était fort justement prioritaire. Mais je vous l'assure, vous pouvez compter sur le directeur de la compagnie et sur moi pour ...

    Deux coups furent frappés à la porte et la secrétaire de Paul passa la tête :
    - On vous réclame d'urgence chez le directeur !
    - J'arrive de suite, dit Paul en tendant la main à Pierre. Félicitations, à vous et à vos collègues. Nous organiserons dans les jours qui viennent un pot pour célébrer ce formidable amerrissage. Nous inviterons également les passagers ! Et puis, pour ce qui est de la perte de l'avion, ne vous tracassez pas, c'était le plus vieux de la flotte. Je vais vous confier un secret : avec l'assurance on ne fera pas une si mauvaise affaire ! avoua-t-il avec un clin d'œil alors qu'il ouvrait la porte….
    Il se retourna sur le seuil de la porte :

    - J’allais oublier … Je vous ai positionné sur un charter de quatre jours à Norfolk… je sais que vous aimez bien y aller… J’ai également prévu Régis et Amélie. L’équipage !...
    Pierre était resté seul dans la salle de conférence. Il regagna son siège et rangea les quelques documents qu’il avait apporté dans sa serviette, puis il bascula le fauteuil vers l’arrière, regardant le ciel qui déversait une averse sur la baie de l’Anse Vata.
    Norfolk… Il se prît à rêver, les souvenirs le ramenant quelques semaines en arrière, lors de sa première rencontre avec Sandra...
    «  C’est peut-être à toi de savoir ce que tu veux faire… »
    Cette réflexion l’avait troublé. Plus tard, durant le vol, il avait profité d’une absence de Nicolas qui était allé en cabine pour demander à Sandra de venir au cockpit.
    «  Je peux t’inviter à diner ce soir ?... »
    «  Pas de chance, mes parents m’attendent et nous partons aussitôt passer le week-end chez mes grand parents, à Yaté. »  
    «  Et à ton retour ?... »
    «  Nous rentrerons tard le soir et je repars dès le lendemain matin pour un charter de quatre jours à Norfolk … »
    Voyant Pierre faire la grimace, la jeune femme avait suggéré :
    «  Tu as plus de pouvoir que moi pour aménager ton planning. Nous autres, pauvres petites hôtesses, ne pouvons que subir… On pourrait déposer un désidérata de vol ensemble… »

    Pierre avait fait le forcing auprès du commandant de bord qui devait assurer ce courrier sur Norfolk pour le convaincre de lui laisser sa place.
    - Au fond ça m’arrange, finit par céder son collègue, j’ai des travaux en cours dans ma maison, et je préfère être là pour les surveiller. »
    Pierre ferma les yeux et son visage s’éclaira d’un sourire en revoyant l’expression de surprise de Sandra lorsque le jour du départ, elle le découvrit dans la voiture de service.
    - Mais comment as-tu fait ? » demanda-t-elle en riant.
    Ce séjour à Norfolk fut un véritable régal. Enfin, presque …
    - On a le choix entre une voiture et une moto que la compagnie met à notre disposition. D’habitude, je prends la moto et je laisse la voiture au copilote et à l’hôtesse. On peut ainsi visiter des endroits magnifiques inaccessibles en voiture. Mais si tu préfères, on prend la voiture. »
    - Si tu me promets de ne pas faire le fou, je préfère la moto !...
    - La compagnie n’a pas fait de folie, c’est une modeste 125 et avec ça on ne risque pas de faire d’excentricités !
    En début d’après-midi il avait stoppé la moto devant le bungalow qui abritait la chambre de Sandra et s’était approché de sa porte :
    - Tu es prête ?...
    - J’arrive dans deux minutes !... » avait-elle crié d’une voix enjouée .
    Il avait admiré la jeune femme alors qu‘elle descendait les quelques marches de son bungalow, vêtue d’un tee-shirt et d’un short beige dévoilant de bien jolies jambes.
    - Par quoi on commence ? ... demanda-t-elle en grimpant sur la moto.

    Tout au long de ce premier après-midi ils avaient visité la très pittoresque chapelle Saint Barnabas, puis ils s’étaient arrêtés quelques minutes à Bloody bridge.
    - Des bagnards ont tué et enterré leurs gardiens dans le mortier de ce pont qu’ils étaient en train de construire. Ce pont est donc leur sépulture… avait chuchoté Pierre en prenant un air lugubre.
    En fin d’après-midi Pierre fit grimper la moto jusqu’au Mont Bates, point culminant de l’ïle, et ils avaient échangé quelques baisers dans le soleil couchant.
    Ils étaient allés dîner dans une petite auberge et c’est ce soir là que, pour son plus grand malheur, Pierre devint l’amant de corps et de cœur de la sublime Sandra.

    Les journées suivantes se passèrent à explorer les divers sites touristiques de l’île, alternant randonnées à cheval et à moto.
    Un après-midi, assis au pied d’un immense pin coronaire, Pierre laissait son regard errer sur l’océan tout en mâchouillant un brin d’herbe, étourdi par la révélation que venait de lui faire Sandra :
    - Il faut que je te dise … je ne suis pas libre : il y a un homme dans ma vie … avait-elle confessé.
    - Qui est-ce ?
    - Il est médecin à Yaté …
    - C’est lui le grand-père que tu es allé visiter dès notre retour de Vila ?...
    - J’ai vraiment de la famille à Yaté où je vais souvent…
    - Et tes projets avec lui ?...
    - Je n’en sais rien, tout est trop nouveau … C’est un homme très bien et je ne veux rien faire de mal…
    Il la regarda par en dessous et ne put réprimer un sourire :
    - Oui, on peut voir les choses comme ça… si on a l’esprit large !...
    Il fixa son regard dans ses yeux bleus :
    - Et à notre arrivée à Nouméa, tu feras quoi ?...
    - Il m’attend …  dit-elle sans hésiter.
    Pierre se prit à sourire d’un air goguenard :
    - C’est toi qui m’a demandé quelque chose comme : il faudrait peut-être que tu saches ce que tu veux ?...
    Elle soupira et lui passa la main dans les cheveux :
    - Ne t’inquiète pas … Il me faut juste un peu de temps…

    De retour à Nouméa, Pierre repris les vols. Il ne pouvait voir Sandra qu’épisodiquement, partagés entre leurs courriers et les visites de la jeune femme à Yaté. Cette situation commençait à peser sur la vie sentimentale de Pierre jusqu’au jour où une dépression tropicale le contraignit à poser en catastrophe son avion dans l’Erakor Lagoon.

    Puis, quelques jours après, le directeur des opérations l’avait appelé :
    - J’ai un service à vous demander. Le pilote basé à Wallis n’a pas eu ses congés règlementaires. Je suis obligé de trouver une solution. La ligne est simple, puisqu’ils s’agit de trois vol vers Futuna par semaine. mais je n’ai pas envie de confier ce travail a un inconnu. Vous avez la qualification sur Britten Norman … accepteriez-vous d’aller y passer quelques semaines ?
    Pierre s'était raidit.
    - C’est une sanction ?
    - Non, je vous l’assure, pas du tout ! Mais vous nous rendriez service …  d’un autre côté, il est vrai que pendant ce temps les choses ici s’apaiseraient avec Courtaud …

    Un coup de vent fit tanguer le petit bi-moteur, extirpant le pilote d’une rêverie qui n’avait en réalité duré qu’une poignées de secondes.
 Il regarda sa montre,  sortit de l’avion et gagna le bureau des opérations où Paola l’accueillir avec une grimace :
    - Pas de docteur … à vous décider.
    - J’y vais. Essayez de prévenir Futuna, qu’ils se tiennent prêt à l’embarquer dès mon arrivée. Nous aurons juste le temps de décoller avant la nuit !
    Le vol vers Futuna fut agité, le Britten Norman répondant rageusement aux coups de fouet des orages au sein desquels il traçait sa route.

    A peine les moteurs arrêtés au petit parking de l’aérogare que des agents installaient déjà une jeune polynésienne sur la civière.
    Le crépuscule envahissait l’île, les masses grises qui dominaient le ciel devenaient presque noires. Des gerbes de pluie aspergeaient brusquement l’avion dans un crépitement agressif.
    - Qui l’accompagne ? Il fallait crier pour se faire entendre.
    Un des agents s’approcha, protégeant de la pluie les quelques feuillets du dossier de vol.
    - Voilà Captain, devis de masse et de centrage, plan de vol et la météo … pas terrible. Plus vite vous partirez, mieux ce sera … d’ailleurs il va faire nuit !
    - Qui l’accompagne ? insista Pierre.
    Plissant les yeux en grimace pour faire front aux rafales de pluie et de vent l’agent lui avoua qu’il n’y aurait personne, la sage femme étant occupé dans une autre partie de l’île.
    - Vous devez repartir à Wallis tout seul, avec elle …
    - Personne pour l’accompagner ?
    - Non, personne … désolé.
    Pierre s’approcha du petit groupe. Il savait qu'il était trop tard pour négocier quelque secours, le temps pressait. La jeune femme allongée sur la civière tenait un drap à deux mans. Par instant son visage parsemé de gouttes de sueur se crispait alors qu’elle retenait ses gémissements. Il croisa son regard et posa sa main sur son épaule humide.
    - Nous allons décoller immédiatement. Dans une heure vous serez à Wallis, dans de bonnes mains. Nous allons être secoués mais n’ayez pas peur, vous ne risquez rien.
    Pierre se retourna, salua le petit groupe et grimpa dans le bi-moteur. Quelques minutes plus tard le vrombissement s‘étiolait dans les masses sombres alors que l’obscurité prenait possession de l’île.

    Tout en luttant contre les éléments Pierre jetait de fréquents regards à la passagère dont la position allongée plaçait sa tête juste derrière le siège vide du copilote, discrètement éclairée par la luminosité de la cabine, réduit au minimum. Il lui souriait, essayant par ses grimaces de la rassurer, espérant l’aider à surmonter sa souffrance. Elle gémissait, isolée dans ses tourments.

    Soudain, peut-être à mi-parcours, au coeur de la tempête, elle rejeta le drap et la couverture qui la couvraient pour se redresser, appuyée sur les coudes, le menton sur le haut du buste, le visage déformé par une grimace de douleur.
    Pierre nota la robe qui était trempée au niveau du bas ventre.
    La jeune femme le fixa, les yeux implorant, elle cria quelque mots qu’il ne put comprendre, étant contraint de ne jeter que de vifs regards, sa tête alternant entre le tableau de bord et la suppliciée qui remonta sa robe sur son ventre gonflé.
    L’orage se durcit, forcit, léchant méchamment les ailes du minuscule oiseau.


    Fureur, violence, bruit, raffut, éclairs, et un cri, un minuscule cri.

    Le pilote se retourna un instant et stupéfait vit l’enfant entre les jambes de sa mère.
 Les yeux à nouveau sur son horizon artificiel il demeura inerte, abasourdi, ses mains ne pilotant plus que par habitude.
    « Il est né ! »  fut sa seule pensée.
    La maman avait pris l’enfant qu’elle avait posé sur elle. S’étant partiellement dénudée elle le tenait allongé entre ses seins, peau contre peau. D’un regard Pierre eût le temps de noter le cordon ombilical qui serpentait sur un côté.
    Le bébé ne pleurait plus, peut-être bercé par les soubresauts de l'avion.
    La maman lui demanda quelque chose qu’il ne comprit pas, les bruits mélangés étant trop fort. Il se contorsionna et se pencha vers elle, autant pour écouter ce qu’elle demandait que pour remettre en place une ceinture de sécurité à présent trop lâche.
    « Des ciseaux ! » Mais je n’en ai pas ! Croisant son regard la jeune femme lui montra le cordon ombilical, mimant avec ses doigts le geste de couper.
    D’une main Pierre pilotait, de l’autre il fouilla à tâtons dans sa sacoche, en extirpa un couteau Suisse. Il lâcha un instant les commandes, ouvrit le bon outil qu’il tendit à la jeune maman.
    Pierre qui ne voulait rien manquer observa le geste : le cordon fut tranché sans hésitation.
    «  Il est né ! … C’est incroyable mais il est né !… ».
    De sa main libre il aida la jeune maman a repositionner le drap et la couverture où elle resta enfouie.
    Il jubilait, le bras tendu serrant la main moite de la jeune femme qui tenait contre elle ce petit bout de vie, échangeant des sourires qui basculaient en rires alors que la tempête vaincue se retirait, leur cédant un ciel noir pastellé d’étoiles étincelantes.

    à suivre… La Coconut war …


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    Message par eolien Jeu 15 Fév 2018 - 20:07

    On me demande une suite, en voici un épisode, tirée du fin fond de mon ordi où elle dormait depuis quelques décennies :

    25 ème épisode :

    De retour à Nouméa, Pierre repris les vols. Il ne pouvait voir Sandra qu’épisodiquement, partagés entre leurs courriers et les visites de la jeune femme à Yaté. Cette situation commençait à peser sur la vie sentimentale de Pierre jusqu’au jour où une dépression tropicale l’avait contraint à amerrir en catastrophe sur l’Erakor Lagoon.

    La Coconut war …

    Pendant ce temps, les évènements politiques se précisaient dans les îles de l’Archipel des Nouvelles-Hébrides, condominium géré à part égale par les français et les anglais. La population qui se répartissait entre mélanésiens, polynésiens, français, chinois et anglo-saxons (britanniques et australiens) s’était scindée en deux blocs à l’approche de l’indépendance, excitant les ambitions et les passions. Les peuples des îles se partageait en deux : une moitié, francophone et francophile favorable au parti historique Nagrianel de Jimmy Stevens, bien implanté à Espiritu Santo et à Tanna avait l’appui discret de la France, alors que les anglophones soutenaient le Vanua’aku party de Walter Lini, lui-même porté à bout de bras par les anglo-saxons.

    Qui a tué Alexis Yulu ?

    La question qui garnissait les manchettes de la plupart des journaux francophones n’allait jamais vraiment trouver de réponse. L’assassinat de ce député francophone et francophile, massacré sur l’île de Tanna le 11 juin 1980, fut pour de nombreux observateurs imputé à des séides aux ordres de sa gracieuse majesté.
    (https://journals.openedition.org/jso/1584?file=1)

    Toujours est-il que le mouvement indépendantiste Nagriamel de Jimmy Stevens se radicalisa farouchement contre la main mise anglo-saxone sur les projets politiques du futur Vanuatu. A l’encontre de ce que son nom pourrait laissait accroire, le leader nationaliste Jimmy Stevens penchait tout à fait pour la France, luttant surtout avec ses compagnons pour rester indépendants. Il voulait instaurer un système politique basé sur la « coutume », c’est à dire sur les traditions ancestrales des peuples autochtones de l’archipel.
    Les membres du Nagriamel et les français vivant aux Nouvelles Hébrides commirent une grande erreur, qui fut d’avoir eu confiance dans le soutien que leur avait promis la nation au drapeau tricolore.

    En ce mois de mai de l’an de grâce mille neuf cent quatre vingt, le drapeau du nom coutumier de l’île, Vemarana, flotta sur Espiritu Santo.

    Détresse sur le Pacifique - Page 2 220px-Flag_of_Vemerana.svg

    Une cascade d’évènements allait conduire à l’isolement de l’île qui refusait le modèle de structure d’état imposé par le parti majoritaire de Port Vila.
    Jimmy Stevens fit sécession, proclama la république du Vemarana et créa un gouvernement. La riposte du premier ministre du tout nouveau Vanuatu ne se fit pas attendre et Walter Lini imposa le blocus d’Espiritu Santo.

    Le hasard des plannings voulut que Pierre fut le commandant de bord du dernier vol au départ de l‘île qui devint fermée au reste du monde pendant trois mois.
    Quelques semaines plus tard, fin juillet, les Hercules C130 anglo-australiens atterrissaient en force à Espiritu Santo pour y débarquer leurs bataillons de soldats papous armés jusqu’aux dents, et en quelques jours, la République du Vemarana avait vécu : Jimmy Stevens fut arrêté avec quelques 800 autres personnes et conduit dans les geôles de Port Vila où il allait croupir plus de 10 ans…

    En ce jour d’été 1980, Pierre bavardait avec le copilote, Eric, et le steward, Romain, dans la voiture de service qui les conduisait à Tontouta. A leur arrivée à l’aéroport, ils eurent la surprise d’être accueillis par le directeur des opérations :
    - On reprend les opérations sur Espiritu Santo !... Il y a des blessés à rapatrier sur Nouméa en urgence, nous avons l'accord des anglais, acceptez-vous d’y aller ?...
    - Bien sûr, répondit Pierre qui se tourna vers son copilote et vers le steward. Et vous ?…
    Tout les deux acceptèrent sans hésitation.

    La mission fut rondement menée. A peine étaient-ils posés à Espiritu Santo qu’ils furent mis sous la haute surveillance de soldats papous armés et commandés par des anglo-saxons, qu’il supposa britanniques et australiens.
    Des blessés sur civières, et d’autres capables de marcher, mais tous avec d’énormes pansements, furent embarqués. Un médecin français les accompagnait. 
Tout en surveillant leur installation le médecin donna aux pilotes quelques explications :
    - Celui-ci, sur la civière, était installé à l’arrière d’un pick-up à plateau qui a forcé un barrage de soldats papous. Il a été fauché par une rafale : plusieurs balles en diagonales, pas un organe vital n’a été touché, un miracle qui explique qu’il soit encore vivant.
    Il indiqua du droit un polynésien qui avait le bras en écharpe :
    - Lui aussi est un miraculé ! Il a reçu une balle explosive dans le coude. Presque tout a été sectionné, les os comme les tendons. Par chance l’artère n’a pas été touchée, et le gars a couru vers son village en soutenant son avant-bras qui n’était plus relié au bras que par l’artère… Plusieurs kilomètres dans la brousse !…
    De nouveaux blessés furent embarqués ainsi que de nombreux civils plus ou moins amochés. Un français âgés d’une soixantaine d’années montra à Pierre son tee-shirt maculé de traces de sang :
    - C’est tout ce que j’ai pu prendre avec moi. Cela fait trente ans que je vis ici. Les officiers britanniques ont laissé les soldats papous tout saccager chez moi, et je peux vous avouer que je suis heureux d’être ici, même en ayant tout perdu … D’autres n’auront pas cette chance, ajouta-t-il lugubrement.
    Quelques passagers avaient réussi à réunir des bagages, d’autres, les mélanésiens et les polynésiens, avaient de grands baluchons pour toute fortune.
    Le plus grand désordre régnait dans l’aérogare et il fut impossible de peser comme il se doit l’amoncellement des ballots, des sacs et des énormes balluchons que les employés encore présents transportaient vers la soute du Fairchild.
    Pierre rejoignit Eric qui était resté au cockpit :
    - Voilà la situation : on est complet en passagers et en fret : des blessés et des civils français ou francophones qui sont expulsés. Mais rien n’a été vraiment pesé, le devis de Masses et de Centrage est très approximatif : de toute évidence on est en surcharge.
    Il regarda Eric dans les yeux :
    - Nous n’aurons pas le temps ni les moyens de peser correctement le chargement … soit on fait débarquer un peu au hasard et on abandonne ici ce que ces pauvres gens ont pu sauver, soit on part avec tout ce qui est à bord. Pour ma part, je t’avoue qu’au vu des circonstances ça ne me gêne pas : la limitation décollage, c’est pour le cas de la panne d’un moteur… et ça, ce n’est pas tous les jours que ça arrive !... Qui plus est c’est tout plat vers la mer… aucun obstacle … et quoiqu’il en soit on est en surcharge … alors un peu plus ou un peu moins …
    - Pas de problème lui répondit Eric, tu fais comme tu le sens. Je suis d’accord avec ta décision !...
    Pierre alla jeter un dernier coup d’oeil dans l’aérogare, signa quelques documents et entreprit de traverser le parking pour rejoindre son avion.

    Alors qu’il était à mi-chemin, il fut interpellé par des voix féminines. Une demi-douzaines de femmes d’origine polynésienne qui traînaient d’énormes ballots multicolores venaient vers lui en le suppliant :
    - Monsieur le commandant, s’il vous plait, emmenez-nous !...
    Elles l’entourèrent, leurs visages exprimaient la fatigue et la peur.
    - Je suis désolé mesdames, mais l’avion est complet…
    - Pitié, monsieur le commandant, emmenez-nous !
    - Mais je ne peux pas, l’avion est complet, il ne reste plus une seule place …
    Les femmes l’entourèrent et se mirent à genoux, le suppliant, embrassant ses mains de leurs visages mouillés par la sueur et les larmes.
    - Mais je ne peux rien faire, on est déjà en surcharge …
    - Pitié ! Monsieur le commandant, emmenez-nous ! Ils attendent votre départ pour nous violer !...
    Pierre jeta un regard dans la direction qu’elles indiquaient de leurs bras. Plusieurs soldats papous observaient la scène, nonchalamment vautrés à l’ombre des arbres qui bordaient le parking. Pierre se dit qu’effectivement, cela avait tout l’air d’être le sort qui leur serait réservé.
    - Ils vont nous violer et après ils nous tueront … pitié, emmenez-nous !
    Il ne savait plus comment se sortir de cette situation, et les femmes qui le voyaient hésiter s’accrochaient de plus belle à lui, couvrant ses mains de baisers humides.
    - Bon, restez là, je vais voir ce que je peux faire… Il fit mine de partir vers l’avion, et elles se levèrent en s’accrochant à lui.
    - Ne nous laissez pas, ils vont nous chasser et nous emmener de force. Ils veulent nous violer et après ils nous tueront !...
    Pierre regarda les soldats papous. Plusieurs s’étaient levés et observaient la scène. Comprenant qu’il ne lui restait que quelques secondes pour se décider avant qu’ils n’interviennent pour récupérer de force leur butin, il s’adressa aux femmes :
    - Suivez-moi, je vais voir ce que je peux faire, mais je ne vous promets rien, leur dit-il en marchant vers l’avion sous le regard concupiscent et frustré des soldats papous.
    Un peu plus loin, des officiers britanniques observaient la scène.
    Debout dans la soute à bagages gorgée de malles et de baluchons, Eric bavardait avec Romain, le steward.
    - Messieurs, nous avons encore un problème …
    Il leur exposa la situation.
    - Nous sommes déjà en surcharge … Alors si on prend ces six femmes, avec leurs balluchons, ça fait six cent kilos de surcharge supplémentaire. Dans tous les cas, si on a une panne moteur au décollage, avec ou sans ces six femmes, on finit le vol dans le lagon… Nous sommes dans un pays en guerre ! Alors, si vous êtes d’accord, au point où on en est, je les embarque.
    - Je suis d’accord, acquiesça Eric, mais tu les mets où ?...
    - On pourrait les asseoir sur leurs balluchons dans l’allée, proposa le steward. Mais elles n’auront pas de ceinture.
    Pierre regarda Romain en souriant :
    - Bonne idée ! Allez, on fait comme ça et on décolle au plus vite.
    Et c’est ainsi que six femmes d’Espiritu Santo prirent leur baptême de l’air, confortablement assises sur le moelleux de leurs baluchons. Elles purent voir à travers les hublots le soleil qui préférait disparaître derrière un nuage, désespéré de constater tant de misères s’abattre sur leurs îles …

    Ils firent escale à Port Vila pour débarquer quelques personnes et leurs bagages, puis reprirent leur envol vers Nouméa. En croisière ils furent contactés par Nandi :
    - You have a phone patch with your dispatch…
    Une fois la communication téléphonique établie, ils eurent la surprise d’avoir le directeur des opérations en ligne.
    - Voilà la situation : il y a de nouveaux blessés à Espiritu Santo à transporter d’urgence à Nouméa. Nous avons l’accord des britanniques mais pas d’équipage pour le faire, entre ceux qui sont en repos réglementaires et ceux qui ne sont pas joignables … Le seul qui pourrait le faire c’est monsieur Courtaud … mais il refuse d’y aller. Nous savons que vous allez dépasser le maximum d’heures autorisées, mais comme il n’y a plus que vous, je vous pose tout de même la question. On comprendra parfaitement que vous refusiez…
    - Stand by Paul, on en discute et je vous rappelle !
    Pierre demanda à Romain de venir au cockpit, et lorsqu’ils furent tous réunis, il leur exposa comment il voyait la situation :
    - Nous sommes dans un pays en guerre, et dans ce cas, les règles et les lois ne s’appliquent plus. Pour ma part je suis d’accord pour y retourner. Certes, ça va demander un effort… Mais vu les circonstances et l’urgence de la situation, je suis prêt à y retourner. Mais vous êtes totalement libre de refuser …
    Eric et Romain donnèrent spontanément leur accord.
    L’après-midi touchait à sa fin lorsque le Fairchild se gara sur l’aéroport de Santo-Pekoa, au milieu de la noria d’avions militaires qui débarquaient soldats papous et matériels. Ils avaient fait escale à Port-Vila pour avitailler suffisamment de carburant pour un retour direct sur Nouméa.
    Pendant que les personnels s’affairaient autour de l’avion Pierre prit sa caméra et alla filmer quelques scènes, notamment les endroits stratégiques avec tous ces soldats papous armés et menaçants.
    Pierre s’approcha du tout petit aérogare sur le toit duquel une mitrailleuse entourée de sacs de sable et servie par des papous était installée. Il filma quelques scènes. La bobine étant arrivée à son terme, il la mit dans sa poche et la remplaça par une bobine vierge. Il reprit son activité de cinéaste amateur soudain interrompue par deux hommes en civil, britanniques, les cheveux coupés très courts, genre barbouze en mission, habillés tous deux de costumes gris de toile légère, qui lui intimèrent l’ordre d’arrêter de filmer. Ils étaient accompagnés d’une escouade d’une demi-douzaine de soldats papous entourés d’officiers britanniques.
    Pierre voulut passer outre et les deux barbouzes le bousculèrent sèchement. Pierre eût un geste de révolte.
    Un des deux types ouvrit sa veste et mit la main sur le revolver qui était accroché dans un étui de cuir à sa ceinture. L’autre se recula et fit le même geste. C’était un avertissement très clair : tu bouges, tu es mort. Ton gouvernement ne fera rien pour toi, le notre nous couvrira.
    Pierre pointa du doigt ses propres gallons, demandant le respect dû à la fonction. Sur un ordre un soldat papou essaya de prendre la caméra que Pierre tenta de soustraire en pivotant sur lui-même. Une échauffourée s’ensuivit, des coups furent échangés, bousculade à l’issue de laquelle Pierre se retrouva à terre. Un soldat papou tendit la caméra aux britanniques qui en ôtèrent le film.
    On lui attacha les mains dans le dos et il fut trainé jusqu’à un camion où il fut hissé sans ménagement. Quelques minutes plus tard, le copilote et le steward le rejoignirent, escortés par une escouade de papous sous l’autorité d’officiers anglo-saxons.
    - Que se passe-t-il demanda Eric.
    Pierre haussa les épaules.
    - Je me suis embrouillé avec une paire d’abrutis, des barbouzes anglais, des soldats papous m’ont sauté dessus, tabassé et … vous n’êtes pas menottés ?… fit-il avec étonnement.
    Il avait à peine fini sa phrase que des soldats papous sautèrent sur la plate -forme du camion et entreprirent de lier les mains du copilote et du steward.
    Les officiers discutaient entre eux à quelques pas, surveillant la scène. Les deux barbouze revinrent, donnèrent des ordres, un des officiers grimpa à côté du chauffeur, les soldats s’installèrent à-même le plancher, sauf deux, toujours debout, qui manquèrent de tomber lorsque le camion s’ébranla, déclenchant l’hilarité de  leurs camarades.
    - Où va-t-on ? hurla Pierre pour couvrir le bruit du camion et sans obtenir de réponse.

    à suivre ...


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    Message par eolien Ven 16 Fév 2018 - 17:21

    Ps : des commentaires sont possibles ici


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    Message par eolien Lun 5 Mar 2018 - 0:45

    26 ème épisode :

    Quelques minutes plus tard ils étaient internés dans un bâtiment, isolés dans une pièce éclairée par une fenêtre munie de barreaux, sous bonne garde de l’escouade de soldats papous. Un officier australien ouvrit la porte, leur jeta un regard peu amène, observa la fenêtre et donna des ordres aux soldats papous qui vinrent leur ôter leurs liens.
    Pierre voulut obtenir quelques informations mais se heurta à un mutisme déterminé.
    La nuit tomba sur Espiritu-Santo. Le trio sommeillait, repos entrecoupé de bavardages.
    Eric demanda à voix basse :
    - Que va-t-il se passer ?
    - Je suppose que la compagnie fera jouer ses relations pour nous faire libérer.
    - Et sinon, s’enquit Romain.
    - Et bien sinon … je n’en ai aucune idée. Nous ne pouvons pas compter sur notre gouvernement. Vous avez été bien placés pour mesurer ici le soutien que l’on peut espérer de la France …
    Eric s’exclama :
    - Tout ça pour quelques images !…
    Pierre mit la main dans la poche de son pantalon et en ressortit une cassette Super 8 :
    - J’ai là quelques séquences … mais réellement je ne vois pas où était la menace pour eux …
    Il glissa la cassette dans sa poche.
    - Non, enchaina Pierre, ce n’est qu’un prétexte. Les anglais et les australiens sont maitres du jeu et veulent le faire savoir. Il sont convaincus qu’une fois de plus notre gouvernement se dégonflera et ils affirmeront ainsi que toute la région est à eux et que nous n’avons rien à y faire.
    - Alors ? s’enquit le steward.
    - Alors nous allons essayer de dormir … demain devrait apporter des réponses …

    Un document sur la Coconut War

    Un grattement à la fenêtre attira leur attention. Pierre s’approcha et aperçut une silhouette dans l’ombre. Un homme s‘approcha. Pierre le reconnut, c’était un  mélanésien membre du personnel de l’escale.
    - Commandant, j’ai surpris une conversation … demain les papous reçoivent un de leur chefs. Ils feront une fête coutumière en son honneur et parlent de mettre le feu à votre avion … ils veulent vous punir pour une histoire de femmes que vous avez emmené.
    - Il faut le dire aux officiers britanniques !
    - Ils ne feront rien. Ils en riaient … Ils vous arroseront de « We are so sorry … » et c’est tout. Vous savez bien qu’en raison des essais nucléaires à Mururoa ils ne ratent pas une occasion de nuire à la France …
    - Qu’est-ce que l’on peut faire … nous sommes prisonniers. Il faudrait avertir la compagnie et les autorités.
    - C’est pour cela que je suis venu. Si vous pouviez vous rendre à l’aéroport, ce ne serait pas trop difficile d’aller à votre avion et d’appeler Nouméa par radio-HF …
    Le commandant de Bord fit un signe d’approbation :
    - Mais comment faire ?
    - Les soldats ont bu du kava … beaucoup. Je leur en ai encore apporté. Ses dents blanches s’élargirent dans la pénombre, et du whisky aussi … Surtout du whisky. J’ai eu l’accord du chef d’escale pour quelques caisses …  et j’ai offert tout ça au Man blo Kustom … vous diriez le chef religieux. Beaucoup de kava fait dormir et le mélange avec le whisky n’est pas bon … Vers deux heures du matin ils seront saouls, alors je passerai et je tournerai la clé. Je frapperai deux coups à la porte. Attendez un moment que je rentre chez moi à pied par derrière pour ne pas être suspecté. J’en ai pour une vingtaine de minutes. Puis allez à l’aéroport. En raison du couvre-feu il n’y aura personne dehors et très peu de soldats, essentiellement des papous encadrés par des anglo-saxons,. Tous auront bu beaucoup de kava et du whisky. Il peut aussi y avoir quelques policiers mélanésiens. Si vous arrivez à l’avion vous pourrez appeler à la radio.
    - Et s’ils nous surprennent et nous arrêtent ?
    - Normalement ils vous ramèneront … Les britanniques veulent faire un exemple en donnant aux papous une récompense pour leur aide en les laissant brûler votre avion, et en montrant à Walter Lini qu’ils peut compter sur eux et pas sur la France … A vous ils ne feront rien … normalement !
    Pierre s’apprêtait à le questionner mais n’en eut pas le temps :
    - J’entends du bruit, quelqu’un vient …
    L’ombre s’évanouit dans la nuit tropicale. Les prisonniers s’assirent par terre.

    - Tu le connais ce type ? questionna Eric.
    - Oui. Je lui ai rendu un service. Il avait besoin de médicaments pour un de ses enfants qui était malade et je les lui ai procurés. Depuis, il me traite comme un prince !…
    - Alors on peut lui faire confiance, ce n’est pas un piège ?
    - Sûrement pas, répondit Pierre en secouant la tête dans la pénombre.
    - Qu’est-ce que l’on fait ? demanda Romain, le steward.
    Ils discutèrent un moment de cette affaire, pesant le pour et le contre. De temps à autre un éclair illuminait la pièce l’espace d’un instant, ponctué d’un sourd grognement. Les orages s’approchaient, avides de ne rien perdre de ce qu’il se passait sur Espiritu Santo..
    - Si on reste là et qu’ils brûlent l’avion je regretterai de n’avoir rien tenté. Je suis partant. Et vous ?
    - OK ! fit Romain.
    - Moi aussi, approuva Eric. Donc, résuma-t-il, dès qu’il frappe, nous saurons que la porte est déverrouillée, que les gardes sont endormis, nous patienterons un moment et nous sortirons pour aller à pied jusqu’à l’aéroport …
    - En priant de ne pas tomber sur une patrouille britannique … ajouta Romain.
    Les conjurés étaient prêts lorsque deux coups furent frappés à leur porte. Ils s’obligèrent à patienter une bonne demi-heure puis Pierre ouvrit la porte avec beaucoup de précautions. Il ne distingua rien dans le sombre couloir dans lequel il s’aventura, suivi par ses deux complices. Il avait pris soin de refermer la porte. Ils franchirent prudemment le seuil d’une porte où des soldats entassés ronflaient à qui mieux-mieux.
    Une fois dehors, il prirent la direction de l’aéroport.
    - Nous sommes trop visibles avec nos chemises blanches, souffla le steward. Il vaudrait mieux les enlever …
    - Tu as raison, approuva Pierre qui déboutonna puis ôta sa chemisette, imité par ses compagnons.

    La marche repris, ombres silencieuses se faufilant discrètement entre rues et ruelles. La nuit tropicale retentissait du concert de toute la faune, coassement des grenouilles, hululement des rapaces, croassements, cris de toutes sortes qui depuis la chute du soleil derrière l’horizon chantaient leur plaisir sous les étoiles qui apparaissaient par ci, par là, dans les quelques étroites parcelles du ciel que leur abandonnaient les nuages gonflés d’orages.
    Quelques grosses gouttes s’écrasèrent dans la poussières, martelant leurs épaules nues, piqûres fraiches et cinglantes.
    Une fois sortis de la ville ils accélérèrent leur progression, vigilants, les yeux scrutant la nuit, veillant à ne pas tomber sur quelque garde ou patrouille papoue.
    Enfin arrivés aux abords de l’aéroport, ils choisirent le meilleur passage pour y pénétrer et se précipitèrent vers l’avion, facilement reconnaissable dans l’obscurité.
    Un peu plus loin l’aérogare était plongé dans le noir. Sur le toit, on devinait à peine la silhouette du nid de la mitrailleuse qui, avec ses servants, paraissait endormie.
    - Attention à ne pas les réveiller, conseilla le copilote alors que Pierre ouvrait la porte qui bascula. Ils grimpèrent dans la cabine qu’ils remontèrent jusqu’au cockpit. Pierre s’assit à sa place, sur le siège de gauche.
    - Donne moi les fréquences, demanda-t-il à Eric, tout en connectant la batterie. Puis il mit en marche le poste HF, plaça sur sa tête un casque et saisit le micro. Le copilote augmenta l’éclairage et dès qu’il eût identifié les fréquences en cours, il les afficha sur le poste.
    Pierre appela Nandi, plusieurs fois. Les grésillements et crachotements vomis par les écouteurs s’entendaient dans le cockpit. Eric regarda le steward et fit une grimace, pointant le ciel du doigt.
    - La nuit, avec ces orages, c’est l’aventure avec les communications en HF.
    Ils regardèrent Pierre qui continuait à tenter d’établir un contact qui d’évidence se refusait à eux.
    - Bon, conclu-t-il en ôtant son casque, c’est fichu. j’ai essayé toutes les fréquences et rien … absolument rien !

    Le silence s’installa dans la pénombre du cockpit, chacun supputant secrètement sur les aléas de la situation. Pierre rompit le silence, son ton reflétait ses préoccupations :
    - Au point où on est, on pourrait démarrer les moteurs et décoller vers Nouméa, au moins on sauverait l’avion.
    - Ils peuvent nous tirer dessus depuis le toit avec la mitrailleuse, objecta le copilote.
    - Il y a peu de chance. Ils penseront que ce sont les anglais ou les australiens qui partent en vol … et avant de réaliser, nous serons loin.
    Le steward se pencha vers l’avant pour approuver :
    - Tant que l’alerte n’est pas donnée, qui irait penser que nous nous sommes évadés ?
    Ils réfléchissaient, leurs yeux se perdant dans l’averse tropicale.
    - Il faut aussi envisager un désaveu de notre direction …
    - Pourquoi s’étonna Eric, nous leur sauverions un avion et ils en serait mécontent ?…
    - Je pensais aux conséquences politiques, précisa le commandant de bord. Il serait navrant que dans la conjoncture actuelle le gouvernement de Walter Lini profite de cet évènement pour prendre des sanctions contre les français en général et contre la compagnie en particulier.
    Le steward manifesta son étonnement :
    - Tu veux dire que laisser brûler l’avion serait un moindre mal ?…
    - En fait je n’en sais rien … juste une hypothèse.
    Eric médita un instant ces propos puis demanda :
    - Alors ? Que fait-on ? Nous y allons ou nous en restons là et revenons à la prison ?
    Pierre poussa un soupir :
    - J’ai déjà perdu un Fairchild dans l’Erakor lagon, je ne voudrais pas être responsable de la perte d’un autre ici. Nous y allons et on verra bien ce qu’il se passera si nous ramenons l’avion à Nouméa …

    Le trio étudia les différents aspects de l’opération. Il faudrait décoller de nuit sans aucun balisage de piste, simplement à la lumière des phares. Or le temps s’était obscurci, des grondements et des éclairs à présent proches se manifestaient plus vivement. Par intermittence, l’avion était secoué par des sautes de vent. Un préavis de gros temps caractéristique.
    Pierre s’adressa à Eric :
    - Tu vas aller faire la visite pré-vol et tu enlèveras les sécurités de train. Il se tourna vers le steward. Romain tu l’aideras … Une fois revenus à bord, rejoignez-moi au cockpit, j’aurais achevé la préparation du poste de pilotage.
    Pierre posa sa main sur le bras d’Eric qui se préparait à quitter son siège.
    - Dès que j’aurais mis en route un moteur, je roulerai vers la piste et tu démarreras l’autre moteur pendant le roulage, précisa le commandant de bord à son copilote. Puis, nous ferons les check-lists dans la foulée, alignement, décollage et cap direct sur Nouméa !
    Eric approuva, s’approcha de la fenêtre pour jeter un oeil à travers les vitres du cockpit sur lesquelles des goutes s’écrasaient en tambourinant. :
    - Et si un gros grain vient gâcher la fête ?
    - Et bien on avisera en fonction de la densité de l’averse et des circonstances. Allez-y, ordonna-t-il, faites la visite pré-vol et n’oubliez pas de vérifier qu’il n’y a rien qui pourrait faire obstacle, le parking est étriqué et il y a les avions des anglais. Ce serait trop bête d’en accrocher un …observez et mémorisez bien les emplacements des avions pour me guider lors du roulage vers la piste.
    - Je ne peux pas utiliser de lampe, remarqua Eric en se levant, nous ferons au mieux …

    Pendant que Pierre préparait l’avion au départ, Eric entraina Romain à sa suite, lui expliquant à voix basse les points essentiels de son circuit autour de l’avion et des vérifications qu’il effectuait.
    Un éclair suivi d’un grondement de tonnerre particulièrement fort trouèrent la nuit. La pluie était dense, ils furent trempés en quelques secondes.
    Une fois le tour de l’avion effectué et un dernier regard jeté sur les alentours, ils grimpèrent à bord et allaient se diriger vers le cockpit lorsqu’ils virent Pierre venir à leur rencontre dans l’allée centrale de la cabine.
    - Je venais voir où vous en étiez, s’enquit-il.
    - Visite pré-vol terminée, Les sécurités de train à leur place ainsi que les cache-Pitot. Et un gros grain qui nous arrose !
    Ils étaient tous les trois à l’arrière de l’avion, observant au-dehors par la porte encore ouverte le mauvais temps qui s’installait.
    Leurs regards furent attirés par une lueur qui, au loin, perçait l’averse. Se déplaçant pour mieux observer ils virent à travers les hublots un véhicule s’arrêter au niveau de l’aérogare.
    - Qui est-ce ? s’enquit Romain.
    - Des policiers ou des soldats, mais d'après leurs tenues il me semble que ce sont des mélanésiens, répondit Pierre.
    La Jeep redémarra, pivota sous l’averse et les éblouit de ses phares, se dirigeant droit sur l’avion, pour s’arrêter à quelques mètres de la porte ouverte.
    - « Cachez-vous ! » intima le commandant de bord à ses deux co-équipiers, lui-même s’allongeant sur des sièges passagers, près de la porte.
    Bien évidemment il était plus rassurant d’avoir à faire à des policiers locaux qu’à des soldats papous aux ordres des britanniques, mais malgré tout, la confusion qui régnait sur l’île et les massacres qui les avaient ensanglantées faisaient peser une sourde inquiétude sur le sort qui leur serait réservé s’ils se faisaient prendre.
    Pierre écouta les soldats qui discutaient au pied des marches de la porte arrière. Il les devinaient en observant entre les dossiers des sièges, silhouettes hésitantes, manifestement intrigués de découvrir la porte de l’avion ouverte. La pluie crépitait sur leurs casques, leurs chemisettes s’assombrissaient.
    En quelques secondes la pluie s’était calmée, s’effaçant aussi soudainement qu’elle était apparue, laissant le champ libre aux policiers ou soldats mélanésiens pour profiter de l’accalmie avant un autre déluge.
    L’un deux se pencha sur la porte et essaya de la soulever, dans le but probable de la fermer, mais s’y prenant mal il ne put que la déplacer de quelques centimètres, puis il la laissa reposer. Ils échangèrent quelques propos en bichlamar et Pierre devina leur embarras sur la conduite à tenir.
    Finalement l’un d’eux s’enhardit et grimpa sur les marches jusqu’à arriver sur le seuil de porte. Il était tout près de Pierre, se tenant d’une main au chambranle de la porte, l’autre main portant un fusil, le buste légèrement penché pour examiner du regard la cabine.
    Le soldat était au-dessus de lui, séparé seulement par les dossiers des deux derniers sièges, il discernait son visage, il devinait son regard qui balayait la cabine. Pierre se sentit découvert, vaincu sans avoir combattu. Alors, pensant éviter d’aggraver la situation en prenant l’initiative de se rendre, il se releva.

    Au même instant le soldat pivota, le fusil à l’horizontale.

    à suivre ...


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    Message par eolien Jeu 5 Avr 2018 - 12:17

    26 ème épisode :

    Pierre resta pétrifié, transformé en statue de marbre, les yeux écarquillés dans la pénombre fixant sous le casque la nuque du soldat qui, dans la seconde suivante se tourna vers la porte. Se penchant au-dehors il échangea quelques mots avec ses compagnons puis quitta l’avion. Quelques secondes encore et la jeep démarra alors qu’une nouvelle averse dévalait du ciel.
    - Je n’ai rien compris, s’exclama Romain, que s’est-il passé ?
    Pierre alla jusqu’à la porte, observa l’extérieur.
    - Ils sont partis, constata-il, ça alors !… J’ai cru qu’il m’avait vu et au moment où je me suis levé pour me rendre, dans le même temps il s’est retourné, me tournant le dos, puis il est parti  …
    - Crois-tu qu’il t’ai vu ? questionna le copilote.
    - Non. C’est une incroyable coïncidence qui s’est joué à la demi-seconde …
    Ils échangèrent quelques instants sur cette visite des soldats mélanésiens puis Pierre regagna le cockpit pendant que le steward refermait la porte arrière.

    Lorsqu’ils furent prêts, le commandant de bord donna ses dernières consignes qui se résumaient à « faire vite » tout en restant vigilant sur les procédures :
    - Ce n’est pas le moment de faire une bourde ! recommanda-t-il..
    Puis il se pencha pour observer la pluie qui réduisait la visibilité à quelques dizaines de mètres.
    - Nous avons trois options, dit-il. Démarrer les moteurs immédiatement pour profiter de la pluie pour passer plus ou moins inaperçu et attendre la fin de l’averse pour décoller. Inconvénient, ça laisse le temps aux soldats papous de venir voir ce qu’il se trame. Ou bien mettre en route et décoller dans la foulée malgré la faible visibilité … avec les risques que cela comporte avec rafales pendant le roulage et turbulences en vol .… Enfin, autre option, attendre la fin de l’averse. Mais la nuit s’achève et le jour ne va pas tarder …
    - Alors s’enquit le copilote ?
    Pierre fit la moue, signe d’une profonde réflexion.
    - Je serai enclin de profiter de l’averse pour décoller au plus vite. Nous sommes à vide, l’avion est léger et décollera très rapidement …
    La décision étant prise, le premier moteur à peine démarré, Pierre desserra le frein de parking et de la main gauche jouant avec la commande d’orientation du train avant dirigea l’avion vers la piste, le regard scrutant la pénombre à travers le balai des essuie-glaces.
    - Démarre le moteur 1, ordonna-t-il
    Quelques gestes et le copilote annonça que la mise en route était terminée, tout en poursuivant avec méthode la préparation de l’avion pour l’envol.
    - Est-ce que vous voyez la biroute ? demanda le pilote, trop occupé lui-même à conserver l’avion sur la bonne trajectoire.
    Ils avaient quitté le parking encombré et avançaient sur la petite bretelle qui menait à la piste.
    - Je devine la manche à air qui est agitée, répondit Eric … je dirais … tu auras un vent avant-droit pour une vingtaine de noeuds … environ … c’est assez instable !
    - Check-list avant décollage, enchaina le Pierre, toujours concentré sur le roulage.
    Ils venaient d’atteindre la piste sur laquelle il s’aligna, puis immobilisa l ‘avion.
    - Check-list avant décollage terminée, nous sommes parés, cria le copilote pour couvrir le bruit des moteurs et le boucan de la pluie.
    Pierre réfléchissait. Fallait-il y aller, mettre plein gaz, foncer dans la pluie que la naissance prochaine du jour rendait grisâtre, ou bien patienter en espérant une amélioration.
    Il tripota le bouton de réglage d’antenne pour tenter de cerner le nuage d’orage qui tentait par des efforts rageurs, de pluie, de bourrasques et de foudre de les garder prisonniers sur cette île.
    Or attendre c’était aussi le risque de voir arriver une patrouille de papous armés aux ordres d’officiers britanniques coléreux.
    - On y va ! Prêts ? fit-il en leur mettant un regard pour s’assurer de leur coopération. La visibilité est vraiment faible, j’allume les phares. les essuie-glace à pleine vitesse s’il te plait !
    Il prit un top au chronomètre, poussa les manettes de gaz pour les positionner à la verticale, ce qui correspondait à mi-puissance. Ils observèrent les aiguilles qui s’agitaient, puis lorsqu’elles furent stabilisées, il desserra le frein de parc, poussant les manettes de gaz jusqu’à mettre plein gaz, accompagné du hurlement des moteurs qui s’amplifiait, tout heureux de libérer leurs puissances.
    Aucune balise lumineuse défilant sur les côtés, simplement la succession hachée, saccadée, de la ligne centrale pour maintenir l’avion au centre de la piste.
Le volant incliné à droite pour luter contre le vent qui s’acharnait à vouloir lui faire quitter la piste, le pilote jouait de ses pieds sur les palonniers pour ne pas perdre le fil intermittent qui accélérait son rythme sous ses yeux. Les essuie-glaces s’agitaient frénétiquement, bruyamment, masquant le hurlement des moteurs, des gerbes d’eau jaillissaient de partout, l’avion était secoué de frémissements ponctués de sauts vites maitrisés par le pilote qui pourtant ne put contrôler complètement quelles glissades et dérapages. Assis juste à côté, Romain se cramponnait, les yeux écarquillés, le souffle court, son buste oscillant au rythme de embardées, de droite et de gauche.
    La vitesse de décollage enfin atteinte, Eric hurla « Rotation ! »
    Le pilote tira sur le manche, l’avion quitta le sol, les secousses se firent plus amples, mais aussi plus profondes alors que l’avion entrait dans le monde des trois dimensions.
    - Vario positif ! cria le copilote, la main déjà posée sur la manette du train.
    - Train sur rentré ! ordonna le commandant de bord qui dans le même temps inclina l’avion vers la direction du Sud.
    Le train bien rentré le copilote s’occupa de trouver le meilleur rendement du radar. Un éclair éblouissant, une explosion terrible ébranlèrent l’avion. Pierre reconnu instantanément le claquement aussi violent que brutal d’un coup de foudre.
    L’écran radar était devenu noir.
    - Mis à part le radar qu’est-ce que nous avons perdu ? demanda-t-il à son copilote.
    Une analyse rapidement conduite ne donnant aucun résultat, le commandant de bord reporta à plus tard les éventuelles conséquences de ce foudroiement.
    - Si aucun dégât ne vient perturber le vol nous verrons à l’arrivée où le coup de foudre à touché l’avion, décida-t-il en criant pour ce faire entendre dans le vacarme de la pluie torrentielle. Il doit y avoir des dégâts sur le radôme, nous limiterons la vitesse …

    Très vite ils sortirent de l’orage et émergèrent en plein ciel. Sur la gauche un premier rayon de soleil les salua, admirant ce bel oiseau de fer et de chair, leur ouvrant l’azur.

    Leur arrivée à Tontouta surprit tout le monde. Une fois posés ils furent assaillis de mille questions, mais le commandant de bord avait bien prévenu ses deux co-équipiers d’en dire un minimum tant qu’ils n’avaient pas eu d’entretien avec leur management.

    La situation du commandant de bord était ambigüe et les positions des uns et des autres partagées. Certes l’avion était bel et bien sur le parking, mais les anglo-saxons n’allaient pas manquer de faire pression sur le gouvernement du Vanuatu pour perturber les relations entre les deux états et exiger des sanctions contre la compagnie..
    Bien entendu le chef-pilote se positionna avec vigueur contre cette évasion nocturne, associant les risques techniques aux dommages diplomatiques.
    Lors d’une réunion, le directeur de la DGAC fit remarquer avec un sourire ironique qu’il comprenait la décision du commandant de bord de ne pas vouloir être associé, même à son corps défendant, à la perte d’un deuxième avion et qu’il fallait bien entendu considérer les circonstances exceptionnelles de la situation au Vanuatu.
    Les tords étaient partagés, avoir molesté le commandant de bord pour le simple fait d’avoir pris des photos sur un aérodrome ouvert à la circulation aérienne, l’abus de l’arrestation de l’équipage, la menace de livrer l’avion aux conséquences d’une fête coutumière furent reprochés aux représentant du nouvel état et plaidaient à justifier cette décision hors normes.
    Finalement, des excuses, quelques gestes commerciaux dans une réunion coutumière et l’affaire en resta là.

    Quelques mois s’écoulèrent dans le calme, l’activité aérienne ayant retrouvé son niveau d’avant les évènements qui avaient perturbé la naissance du Vanuatu.

    Pierre vivait une aventure en pointillé avec Sandra qu’il partageait entre leurs courriers et les visites de la jeune femme à Yaté… Etant incapable de prendre une décision et de choisir entre le médecin et le pilote, la jeune femme s’était accommodée de ce mode de vie, ce qui était loin d’être le cas de Pierre qui supportait de plus en plus mal cette situation et repoussait chaque jour l’ultimatum qu’il voulait poser à Sandra pour la contraire à faire un choix. La situation s’éternisait et commençait à peser sur leur vie de couple. Sandra exigeant toujours de tenir cachée sa liaison avec le pilote, il ne pouvait se voir librement que de temps à autre lorsqu’ils avaient un courrier commun loin de Nouméa, ou en cachette dans son appartement, toujours en prenant maintes précautions.
    - Je connais beaucoup de monde ici, disait-elle, il me faut être très prudente…
    - Si on te prend en flagrant délit, au moins les choses deviendront plus claires ! répliquait-il, sur un ton sec.
    - Je ne peux pas me permettre un incident…
    - Et moi je ne vais pas passer ma vie à jouer à cache-cache !
    - Laisse moi un peu de temps pour trouver une solution, implorait Sandra.

    En fin d’année, au départ d’Espiritu Santo, un groupe de passagers aborda Pierre pour formuler une requête. Ils arrivaient de l’îlot Bokissa, petit bijou de verdure ceinturé de sable blanc et bordé d’un lagon décoré de tous les dégradés de bleu et de vert turquoise que l’on puisse imaginer :
    - Commandant, nous arrivons d’un séjour de vacances sur l’îlot Bokissa, est-ce que nous passerons suffisamment près pour que nous puissions prendre des photos ?
    Habitué à cette requête, Pierre y répondit favorablement :
    - Peu après le décollage nous longerons l’îlot Bokissa. Que les passagers qui désirent prendre des photos se placent sur le côté gauche de l’avion.

    Dès que le Fairchild eut décollé, Pierre le maintint à basse altitude et par une petite altération de cap dirigea l’avion vers le lieu de villégiature de ses passagers. Il fit une annonce pour prévenir de l’imminence du survol, l’avion franchit rapidement le peu de mer qui sépare Espiritu Santo de l’îlot Bokissa qu’il longea avant de reprendre la montée en prenant la direction de Port Vila.
    Quelques jours plus tard, Pierre fut convoqué par le chef-pilote Courtaud :
    - Suite à des plaintes de passagers, j’ai appris que tu avais fait un passage à très basse altitude sur l’îlot Bokissa. Avez-vous eu des problèmes techniques qui justifieraient cette entorse aux règles de l’air ?... Je n’ai pas vu de rapport, fit-il avec une mine faussement interrogative.
    - Des passagers qui arrivaient de Bokissa souhaitaient prendre des photos. J’ai stabilisé en palier sur la mer en longeant l’îlot, puis on a repris la montée.
    - A quelle altitude es-tu passé ?
    Ne connaissant pas les informations dont disposait le chef-pilote, Pierre sentit la menace et décida de minorer la vérité :
    - Environ 500 pieds, assura-t-il, alors qu’en réalité il était passé bien plus bas, plutôt à 200 pieds sur le lagon….
    - Bon, je verrai ce que je peux faire pour arranger cette affaire…
    Courtaud lui demanda quelques détails apparemment anodins, et Pierre pensa que cette histoire en resterait là jusqu’au jour où il reçut une convocation à se rendre chez le directeur de l’Aviation Civile du Pacifique Sud, à Nouméa.

    à suivre ...


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    Eolien
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