par eolien Mar 22 Déc 2015 - 19:53
Les commentaires toujours pertinents de Bruno Trévidic, des Echos :
Vol AF463 : comment l'équipage d'Air France a géré en plein vol l'alerte à la bombe
Bruno Trévidic
Qualifiée « d'exemplaire », la gestion de l'alerte à la bombe à bord du vol 463 d'Air France fait figure de cas d'école.
Tout commence environ 2 heures 30 après le départ de l'île Maurice, aux alentours de 22 heures. Le repas du soir s'est terminé, l'éclairage de la cabine a été réduit pour permettre aux passagers de s'endormir, quand un passager alerte une hôtesse sur la présence d'un objet suspect dissimulé dans un placard, derrière le miroir d'une des toilettes, situées en classe éco, à l'aplomb de l'aile du Boeing 777.
L'hôtesse communique immédiatement la funeste découverte au commandant de bord. Plus tard, la chef de cabine racontera avoir vu ce qui ressemblait à « des bâtons de dynamite avec une minuterie ». Le pilote alerte aussitôt le Centre de contrôle des opérations (CCO), situé à Roissy, d'où sont suivis en permanence tous les vols de la compagnie. « Après avoir recueilli les recommandations des différents experts au sol par liaison satellite et l'avis des membres d'équipage compétents, l a décision finale de dérouter l'avion appartient au commandant de bord, mais, au moindre doute, c'est toujours la sécurité du vol qui prime », explique Eric Prévot, commandant de bord sur 777 et porte-parole de la direction des opérations aériennes d'Air France.
Aussitôt informé, le CCO contacte le centre de déminage de Versailles, opérationnel 24 heures sur 24. Une conférence téléphonique s'organise avec le commandant. Elle conclut à la nécessité de se poser au plus vite sur l'aéroport de déroutement le plus proche. « L'appareil vient de passer Madagascar, il est alors au-dessus de l'océan, avec la Somalie devant et le Kenya sur sa gauche. Le choix de Mombassa, qui permet un atterrissage en toute sécurité, s'impose », résume Eric Prévot.
Cellule de crise à Roissy
Parallèlement, une cellule de crise se met en place à Roissy, en contact permanent avec le PDG d'Air France, Frédéric Gagey, et les différentes autorités de l'Etat, comme une semaine auparavant, durant la prise d'otages à l'hôtel Radisson de Bamako. « La cellule de crise est constituée de 16 personnes d'astreinte, appartenant aux différents services de la compagnie, qui vont devoir gérer tous les aspects de l'événement, afin de décharger le CCO, qui a aussi tous les autres vols à gérer. Sur appel du chef de quart du CCO, ils doivent se rendre à Roissy dans l'heure », explique Didier Canler, commandant de bord A380, directeur de la formation des équipages, chargé de la cellule de crise ce soir-là.
A bord, la procédure de déroutement suit son cours. Après avoir rentré les nouvelles coordonnées du vol, le commandant de bord fait d'abord descendre l'appareil, de son altitude de croisière, à plus de 10.000 mètres, à environ 2.500 mètres d'altitude. « Il s'agit de réduire la différence de pression entre l'extérieur et l'intérieur de l'appareil », explique Eric Prévot. Une dépressurisation brutale provoquée par la perforation de la carlingue à l'altitude de croisière pourrait en effet entraîner la dislocation de l'appareil. Les réservoirs de carburant sont également vidangés, avant de réduire l'appareil à la masse minimale requise pour un atterrissage d'urgence. Le commandant de bord décide ensuite de déployer les volets des ailes, afin de ralentir l'appareil et de s'assurer qu'il sera en mesure de se poser à la vitesse requise, au cas où une explosion viendrait à endommager les circuits hydrauliques. « On anticipe la préparation de l'avion en configuration atterrissage (train et volets) », explique Eric Prévot.
La descente de l'appareil et son changement de route ne passent pas inaperçus auprès de certains passagers, qui suivent la route de l'avion sur leurs écrans vidéo. Pour ne pas alarmer davantage les passagers, le commandant de bord annonce, sans plus de précision, qu'un « incident technique » va obliger à se poser à Mombassa. Les 11 personnels de cabine (PNC), eux, reçoivent pour instruction de se préparer pour une évacuation d'urgence.
« Toboggan »
Pendant ce temps, décision est prise de déplacer discrètement la possible bombe vers la « zone de moindre risque » du Boeing 777. Une partie de la carlingue tenue secrète où les effets d'une explosion seraient potentiellement moins graves. Un membre d'équipage se charge du délicat transfert. Puis tous les accessoires potentiellement dangereux (extincteurs, bouteilles d'oxygène...) sont éloignés de cette zone.
Dix minutes avant l'atterrissage, le contact entre le CCO et le cockpit est interrompu. Au dernier moment, le commandant de bord annonce un atterrissage d'urgence. Les passagers sont priés de se préparer à évacuer l'avion aussi vite que possible. Aussitôt l'appareil immobilisé au milieu de la piste, un bref ordre d'évacuation-- « toboggan » - retentit dans l'appareil. « Allez vers la porte », « dépêchez-vous », « évacuez », ordonnent les membres d'équipage en guidant les passagers le long des 60 mètres de la cabine, vers les 5 paires de portes de l'appareil. « Nous redoutions toujours une possible explosion. Nous ne pouvions donc pas prendre le risque d'attendre les passerelles de débarquement », explique Denis Canler.
Au final, l'évacuation des 459 passagers et des 14 membres d'équipage, prévue pour être réalisée en 90 secondes, se déroule de façon optimale. Ce n'est qu'une fois rassemblée dans une salle de l'aéroport que les passagers apprendront l'existence de la bombe. Mais il faudra encore plusieurs heures - jusqu'en début d'après-midi - pour que les autorités kenyanes confirment le caractère factice de l'engin.