Ce soir je suis tombé sur cette histoire que vous connaissez peut être déjà, le récit est intégralement reprit sur ce site: http://leszazas.free.fr/ciel/histoires/cargo.html
ce récit étant lui même tiré d'un article de R.J Grimstead publié dans Flight Deck j'ai seulement rajouté quelques photos et le rapport du BEA
"NOUS AVONS PERDU LES DEUX MOTEURS DROITS !"
D'après l'article de R.J. Grimstead publié dans Flight Deck
Vue générale de l'appareil sur le terrain d'Istres. On remarque l'ampleur des dégâts subis par l'aile droite. (Photo BEA)
Toute l'expérience combinée de chacun était nécessaire pour aligner l'avion dans l'axe de la piste à cette grande vitesse inhabituelle. Le Commandant Bergelund maintenait une légère inclinaison à gauche avec les ailerons et la direction braqués à fond et faisait de petites corrections pendant que Martin régulait autant que possible la poussée du moteur intérieur pour les maintenir en l'air. Malgré les trente noeuds de Mistral arrière, ils n'osaient pas descendre en dessous de 200 kts de peur de perdre le contrôle directionnel. (La composante maximale de vent arrière autorisée pour le 707 est de dix noeuds).
A la masse de 130 tonnes, avec les volets partiellement sortis et une vitesse au-delà de 200 kts (le train d'atterrissage était calculé pour 112 tonnes à la vitesse de 195 kts), ils atterrirent juste après les "peignes" et légèrement à gauche de l'axe.
Martin dira plus tard : «Je n'ai jamais vu un aéroport défiler aussi vite!».
Alors qu'ils étaient encore en l'air, pour essayer de contrôler la vitesse, il laissa les manettes des gaz à son Commandant et se saisit de celle des spoilers (quoique seuls les spoilers intérieurs mus par le système auxiliaire aient fonctionné). Après le toucher, Terry tira précautionneusement la manette d'inversion de poussée du n° 2 jusqu'à l'inversion maximale.
Sur le 707, les reverses ne doivent être utilisées que symétriquement, mais Terry pensa à juste titre que, sans freinage hydraulique, la priorité était maintenant d'arrêter ce mastodonte. Tout en confirmant que les pédales de frein étaient devenues inutiles, le Commandant se saisit de la manette rouge de freinage pneumatique de secours située en bas à droite sur son panneau instruments. Ce système surpasse toutes les protections anti-skid et dérapage. II ne serait pas étonnant que, malgré des manipulations prudentes, quelques pneus allaient éclater. Mais il ne fallait pas que cela arrivât avant que la vitesse ne fut contrôlée.
Le Commandant Bergelund fit un atterrissage parfait, maintint rigoureusement l'axe, telle une flèche, malgré le vent arrière et les pertes de l'orientation de la roue avant et du freinage différentiel. La vitesse diminuant, la perte du contrôle directionnel devint inévitable. Aux environs des trois quarts de la piste, l'inversion de poussée du n° 2 les tirait inexorablement à gauche. Avec un sourire désabusé, Martin se souvint qu'ils avaient traversé très vite l'herbe pour venir s'arrêter à trente mètres d'un gros panneau en métal avec écrit dessus DO NOT PASS THIS POINT. Pendant toute ce chahut et cette glissade, il prit conscience d'un énorme vacarme à l'extérieur de l'avion.
II vit que toute l'aile n'était plus qu'un enfer de flammes et de volutes de fumées noires. II pensa que, bien qu'étant pour l'instant toujours vivants, ils n'allaient pas le rester bien longtemps à moins de se dépêcher. Réalisant qu'il était le seul à avoir vu le feu, il cria à Terry de fermer l'arrivée du carburant, de couper le circuit électrique, ouvrit brutalement sa fenêtre, se saisit de la corde d'évacuation, la déroula vers le sol et, en criant : «évacuez, évacuez, sortez maintenant», il s'y laissa glisser.
Avant de quitter l'avion, il vérifia que Terry le suivait bien et que le Commandant évacuait du côté opposé. Le cargonaute et le mécanicien sol durent sauter de la porte principale car le toboggan ne se gonflait pas. En arrivant au sol, Martin cria à ses collègues «venez tous, courez, (juron), courez !» et partit en trombe pour s'éloigner de l'épave. En jetant un regard en arrière, il trouva que la carcasse en flammes ressemblait au Torrey Canyon. II fut heureux de voir que ses compagnons d'équipage, toussant, s'éloignaient en titubant de cette grosse fumée noire. On aurait dit les hors-la-loi s'échappant du brasier dans le film "OK CORRAL' avec John Wayne.
Les pompiers arrivèrent sur place et commencèrent à arroser toute la structure de l'avion, d'abord avec de l'eau puis avec de la mousse. II faut les remercier de leur intervention rapide. Le cargo fut épargné et ne subit que des petits dommages supplémentaires, ce qui permit une grande accessibilité à la commission d'enquête. L'ensemble, de la perte des moteurs à la glissade finale, n'aura duré que 25 minutes et il n'était que huit heures trente du matin. Martin attribua leur survie à leur «sacrement bon travail d'équipe». II raconta que pendant leur examen médical, une heure et demie après, leur taux d'adrénaline était tel qu'ils avaient un rythme cardiaque quatre fois supérieur à la normale.
L'année suivante, l'équipage remporta le prix "Hugh Gordon-Burge Memorial Award" de l'Association Air Pilots and Navigators.
Une photo du 707 5N-MAS
Quelques images tirées du rapport du BEA concernant l'accident
PHOTOGRAPHIES/PLANCHES
Photo n°1: Vue générale de l'appareil, Vue plongeante sur les dégâts subis par l'aile droite.
Photo n°2 : Faisceau de câblage électrique au niveau du pylône du moteur n°3 (câbles rompus et brûlés - traces de court-circuits)
Photo n°3 : Tôles de revêtement de l'extrados au niveau du pylône du moteur n°3. Tôles déformées, gondolées, craquelées.
Photo n°4 : Les traces de feu partent du bord d'attaque au niveau du pylône du moteur n°3 en s'évasant vers le bord de fuite. On aperçoit, vers le bord de fuite, une longue crevasse rectiligne surplombant le circuit de mise à l'air libre du réservoir n°4.
Photo n°5 : Vue grossie d'une crevasse, faisant apparaître la canalisation rectiligne du circuit de mise à l'air libre
Photo n°6 : Bord de fuite totalement brûlé entre les moteurs n° 3 et 4
Photo n°7 : Les volets intérieurs et extérieurs ont disparu, laissant apparaître les mécanismes de manoeuvre
Photo n°8 : Intérieur du réservoir n°4. Deux nervures internes au moins ont été soufflées et déchirées par une explosion interne
Photo n°9 : Fuselage arrière droit brûlé. Traces de revêtement où la tôle est plissées, froissée.
Photo n°10 : Hublots craquelés et brûlés
Photo n°11 : Épave du moteur n°3, vue générale avant et dessus du moteur
Photo n°12 : Vue de l'attache médiane intérieure du pylône du moteur n,°3. La crique est repérée par une flèche.
Photo n°13 : Moteur n°4, avant du moteur sur son côté droit
Photo n°14 : Moteur n°4, arrière du moteur
Photo n°15 : Moteur n°4, entrée d'air impactée côté intérieur
Photo n°16 : Entrée d'air du moteur n°4, détail avec traces de peinture
Photo n°17 : Moteur n°3, attache médiane intérieure, restée sur l'aile
Photo n°18 : Moteur n°3, attache médiane intérieure, restée sur l'aile
Photo n°19 : Moteur n°3, attache médiane intérieure, vue grossie de la fissure
Photo n°20 : Moteur n°4, attaches pylônes
Photo n°21 : Moteur n°4, attaches pylônes, reconstitution sur pylône
Et le rapport du BEA:
http://www.bea.aero/docspa/1992/5n-s920331/htm/5n-s920331.html
Les nuages matinaux au-dessus des Alpes étaient grisâtres et tourmentés. Le Boeing 707 avait du mal à atteindre son altitude. Lourdement chargé de carburant et de fret minier, l'équipage multinational du cargo cherchait à sortir de la turbulence, dans l'air bleu et dégagé qu'il pouvait entrevoir au-dessus de 33.000 ft. Brutalement, avec une double et bruyante détonation, l'avion s'inclina violemment à droite.
L'avion était le 5N-MAS, un vétéran de 30 ans, de 60.000 heures de vol, immatriculé au Nigeria. Cet ex-Pan Am, ex-Iran Air, exUganda Airways, ex-Dan Air Boeing 707-321 a été par la suite transformé en cargo. II a appartenu successivement à plusieurs compagnies de fret anglaises qui l'utilisèrent principalement pour des opérations de cargo long-courriers à fort tonnage sur l'Atlantique Nord. L'avion vient d'être racheté par une compagnie enregistrée au Nigeria, Trans-Air Ltd, pour des opérations de transport à la demande au départ du Luxembourg vers l'Afrique. Le vol prévu ce jour, sous le numéro de vol ONK 671, allait de Luxembourg à Lagos (Nigeria), avec une charge complète de presque quarante tonnes de matériel minier pour Esso, puis vers Accra (Ghana), ensuite vers Bamako (Mali) et ainsi de suite selon les destinations du fret. Malgré ses tribulations matinales, l'équipage réussit à mettre le bloc à l'heure, 07h00 UTC.
L'avion était le 5N-MAS, un vétéran de 30 ans, de 60.000 heures de vol, immatriculé au Nigeria. Cet ex-Pan Am, ex-Iran Air, exUganda Airways, ex-Dan Air Boeing 707-321 a été par la suite transformé en cargo. II a appartenu successivement à plusieurs compagnies de fret anglaises qui l'utilisèrent principalement pour des opérations de cargo long-courriers à fort tonnage sur l'Atlantique Nord. L'avion vient d'être racheté par une compagnie enregistrée au Nigeria, Trans-Air Ltd, pour des opérations de transport à la demande au départ du Luxembourg vers l'Afrique. Le vol prévu ce jour, sous le numéro de vol ONK 671, allait de Luxembourg à Lagos (Nigeria), avec une charge complète de presque quarante tonnes de matériel minier pour Esso, puis vers Accra (Ghana), ensuite vers Bamako (Mali) et ainsi de suite selon les destinations du fret. Malgré ses tribulations matinales, l'équipage réussit à mettre le bloc à l'heure, 07h00 UTC.
Vue générale de l'appareil sur le terrain d'Istres. On remarque l'ampleur des dégâts subis par l'aile droite. (Photo BEA)
Les pilotes, très expérimentés, faisaient équipage depuis à peine deux semaines. Le Commandant Ingemar Bergelund, un suédois, d'environ cinquante cinq ans, totalisait plus de 25.000 heures de vol sur beaucoup d'avions de ligne, une dizaine d'années ou plus passées sur B707. Son copilote Martin Emery, un anglais âgé de 43 ans ayant précédemment fait une brève carrière comme contrôleur aérien et comme instructeur pilote, cumulait 16.500 heures dont plus de la moitié sur de gros avions de transport et 4500 sur B707. Le mécanicien navigant, Terry Boone, également anglais, en pleine cinquantaine, dépassait les 18.000 heures sur 707. Tous les trois avaient une grande expérience du transport cargo long-courrier, et, durant la quinzaine de jours précédente, avaient fait le tour de l'Afrique plusieurs fois. Ce jour là, en plus de l'équipage, un mécanicien sol et un cargonaute étaient à bord.
Avec 59 tonnes de carburant dans ses réservoirs, à la masse maximum décollage de 151 tonnes, les 4 vieux mais fiables moteurs JT3D3B accélérèrent le 707 sur la piste 24 de 4000 mètres de l'aéroport de Luxembourg. Habitués à ces grosses machines, la plupart d'entre nous avaient déjà vécu cette angoissante arrivée des lumières du bout de piste à grande vitesse, mais ici, le décollage fut encore plus long que d'habitude, avant qu'enfin, la machine ne décollât, au bout du bout de la piste. Ce départ en conditions extrêmes eut quelques témoins, et, parmi ceux-ci, des ouvriers anglais travaillant à la construction de la coupole de la nouvelle tour de contrôle. Ils firent un signe de la main à l'équipage au passage du Boeing et l'un d'entre eux prit une photo. Plus tard, il dira à Martin (N.D.T. : l'OPL) : "vous avez utilisé chaque centimètre de la piste pour ce décollage". Ce décollage eut lieu à 0715 UTC.
L'équipage rentra les volets. Un contrôleur compréhensif autorisa un direct vers le VOR de Saint-Prex et une montée sans restriction au niveau 290. En utilisant ses deux systèmes de navigation Oméga, l'équipage prit le cap de ce VOR lointain, situé à côté du lac pittoresque de Genève.
Environ une heure plus tard, en traversant la frontière suisse, ils atteignirent leur vitesse de croisière de Mach 0.80 (ou 300 kt IAS) au niveau 290. Ils prirent alors le cap sud, en route vers le VOR de Martigues MTG. Le vol était "cahoteux" dans des nuages stratiformes très sombres.
Bien qu'en pleine turbulence, nous n'avions rien sur notre radar. Nous étions tous attachés avec notre harnais cinq points, le siège relevé pour bien voir vers l'avant. A cause de cette turbulence, le Commandant réduisit la vitesse à Mach 0.78 et, comme le vieux pilote automatique était sujet à des débrayages intempestifs, il gardait les mains sur le manche pour intervenir immédiatement si cela arrivait ou si le pilote automatique ne pouvait pas encaisser.
(...) Dans le but de passer au dessus de la couche, Martin demanda le niveau 330. En fait, l'avion était juste un peu trop lourd pour atteindre ce niveau immédiatement, mais l'équipage espérait faire une légère croisière ascendante pour sortir de ce nuage dont la turbulence ne cessait de croître. Martin décrivit les effets habituels de la turbulence sur le 707 lorsqu'ils étaient chahutés et malmenés : l'amplitude du mouvement des ailes, le ballant et le débattement des nacelles réacteurs, et le bruit très variable de l'écoulement aérodynamique. «Nous étions trop secoués pour pouvoir écrire, j'ai donc rangé mon suivi de vol à côté de moi et je me suis concentré sur l'extérieur pour trouver une trouée dans les nuages». En passant tant bien que mal les 32.000 ft, le ciel très gris s'éclaircit petit à petit et quelques morceaux de ciel bleu apparurent. Ils savaient qu'ils allaient en sortir.
Avec 59 tonnes de carburant dans ses réservoirs, à la masse maximum décollage de 151 tonnes, les 4 vieux mais fiables moteurs JT3D3B accélérèrent le 707 sur la piste 24 de 4000 mètres de l'aéroport de Luxembourg. Habitués à ces grosses machines, la plupart d'entre nous avaient déjà vécu cette angoissante arrivée des lumières du bout de piste à grande vitesse, mais ici, le décollage fut encore plus long que d'habitude, avant qu'enfin, la machine ne décollât, au bout du bout de la piste. Ce départ en conditions extrêmes eut quelques témoins, et, parmi ceux-ci, des ouvriers anglais travaillant à la construction de la coupole de la nouvelle tour de contrôle. Ils firent un signe de la main à l'équipage au passage du Boeing et l'un d'entre eux prit une photo. Plus tard, il dira à Martin (N.D.T. : l'OPL) : "vous avez utilisé chaque centimètre de la piste pour ce décollage". Ce décollage eut lieu à 0715 UTC.
L'équipage rentra les volets. Un contrôleur compréhensif autorisa un direct vers le VOR de Saint-Prex et une montée sans restriction au niveau 290. En utilisant ses deux systèmes de navigation Oméga, l'équipage prit le cap de ce VOR lointain, situé à côté du lac pittoresque de Genève.
Environ une heure plus tard, en traversant la frontière suisse, ils atteignirent leur vitesse de croisière de Mach 0.80 (ou 300 kt IAS) au niveau 290. Ils prirent alors le cap sud, en route vers le VOR de Martigues MTG. Le vol était "cahoteux" dans des nuages stratiformes très sombres.
Bien qu'en pleine turbulence, nous n'avions rien sur notre radar. Nous étions tous attachés avec notre harnais cinq points, le siège relevé pour bien voir vers l'avant. A cause de cette turbulence, le Commandant réduisit la vitesse à Mach 0.78 et, comme le vieux pilote automatique était sujet à des débrayages intempestifs, il gardait les mains sur le manche pour intervenir immédiatement si cela arrivait ou si le pilote automatique ne pouvait pas encaisser.
(...) Dans le but de passer au dessus de la couche, Martin demanda le niveau 330. En fait, l'avion était juste un peu trop lourd pour atteindre ce niveau immédiatement, mais l'équipage espérait faire une légère croisière ascendante pour sortir de ce nuage dont la turbulence ne cessait de croître. Martin décrivit les effets habituels de la turbulence sur le 707 lorsqu'ils étaient chahutés et malmenés : l'amplitude du mouvement des ailes, le ballant et le débattement des nacelles réacteurs, et le bruit très variable de l'écoulement aérodynamique. «Nous étions trop secoués pour pouvoir écrire, j'ai donc rangé mon suivi de vol à côté de moi et je me suis concentré sur l'extérieur pour trouver une trouée dans les nuages». En passant tant bien que mal les 32.000 ft, le ciel très gris s'éclaircit petit à petit et quelques morceaux de ciel bleu apparurent. Ils savaient qu'ils allaient en sortir.
La lumière ambre et la sonnerie de l'Altitude Alert venaient juste d'indiquer les 700 ft avant le niveau quand, soudain, le 707 chancela sous deux coups de marteau sourds et étouffés presque simultanés. Toute la structure de l'avion résonna sous l'effet de ces secousses. L'avion dépassa rapidement 45 degrés d'inclinaison avec un violent buffeting.
En ramenant rapidement son regard sur l'horizon artificiel, Martin vit l'inclinaison augmenter au-delà de 55 degrés et n'en crut pas ses yeux. II pensa que ce basculement du gyroscope était dû à une panne électrique majeure et regarda immédiatement l'horizon de secours. Mais ça confirmait la position périlleuse de l'avion. Au même moment, dans un réflexe, le Commandant Bergelund débraya le pilote automatique et mis le manche et le palonnier en butée à gauche pour essayer de ramener l'avion dans sa ligne de vol. Entre le klaxon de débrayage du pilote automatique, la sonnerie assourdissante de l'alarme feu et divers bruits structuraux et aérodynamiques de l'arrière et de l'extérieur, une véritable cacophonie régnait au cockpit. Plusieurs fois, Martin et Terry essayèrent de couper la sonnerie de l'alarme feu en appuyant sur le voyant feu, mais sans succès. Les alarmes lumineuses flashaient et brillaient. En plus du vacarme des sonneries, un klaxon strident retentit, signalant un dépassement de l'altitude cabine normale.
L'avion descendit rapidement, en glissade à moitié de travers, à la limite de la perte de contrôle et dangereusement proche du moment où, le nombre de Mach augmentant, les commandes de vol manuelles deviendraient impossibles à manœuvrer même sous l'effort combiné des deux pilotes.
Après quelques secondes de désarroi, le Commandant récupéra le contrôle du vieil avion après un écart de cap de 90 degrés et réduisit la vitesse à une VA de 230 kt (vitesse de braquage maximale des gouvernes, également vitesse recommandée en cas de dégâts structuraux).
(...) Avant que l'équipage n'ait eu le temps de réfléchir à tout cela, il se retrouva à nouveau dans les nuages avec la turbulence sévère, en descente rapide vers les plus hautes montagnes d'Europe dans un avion désemparé. La plupart des gros avions Boeing, équipés de réacteurs à large fan, peuvent maintenir une altitude raisonnable avec la puissance de deux réacteurs, mais le 707 n'a pas cette chance à moins d'être à de très basses altitudes. Ayant brûlé dix tonnes de carburant, le 5N-MAS pesait maintenant environ 140 tonnes (moins quelques tonnes de moteurs). Son altitude de rétablissement trois moteurs (avec la puissance maxi continue sur les trois autres) serait inférieure à 20.000 ft et celle sur deux moteurs serait probablement en dessous du niveau du sol.
Ce qu'ignorait l'équipage, mais qu'il n'allait pas tarder à découvrir avec effroi, c'est qu'il avait perdu les deux moteurs droits. II n'avait pas seulement été privé de la poussée de ces deux moteurs, ce qui aurait déjà été dangereux en soi, mais il avait bien perdu l'ensemble des moteurs, avec les nacelles, le bâti et tout ce qui va avec. Ainsi étaient partis deux des quatre générateurs électriques, une des deux pompes hydrauliques principales, deux sources de prélèvement d'air et deux de leur trois compresseurs d'air cabine. Et pour tout aggraver, le système principal de sortie du train d'atterrissage et le système de sortie des volets étaient perdus, le circuit électrique était sérieusement dégradé et la pression cabine était en train de chuter. De plus, les tuyauteries carburants étaient sectionnées et les réservoirs structuraux rompus, mais cela ne deviendrait évident qu'au bout de quelques minutes.
En faisant ce qu'ils pouvaient, les moteurs numéros un et deux délivraient leur poussée maximum continue car, ne connaissant pas l'état exact de son avion, le Commandant essayait de perdre le moins d'altitude possible et avait demandé la check-list «feu moteur». Martin et le mécanicien navigant ont exécuté les encadrés pour le moteur n° 4 puis pour le n° 3, mais ils étaient perplexes devant la position des deux manettes de poussée droites qui ont tapé brutalement en butée sur l'avant du pylône. Ils tirèrent la manette coupe-feu n° 4 afin de couper l'arrivée du carburant, l'alimentation électrique et les prélèvements d'air du moteur extérieur, mais ne touchèrent pas à celle du moteur intérieur, voulant tirer avantage de la puissance qu'il pourrait éventuellement délivrer et conserver ainsi ses générations électriques et hydrauliques. (Seuls les moteurs intérieurs du 707 ont des pompes hydrauliques et la génératrice du moteur n° 3 délivre le courant de la BUS essentielle vers les instruments du panneau commandant).
Chaque membre d'équipage était entièrement occupé par ses propres tâches. Le Commandant fournissait un gros effort physique, luttant contre des commandes très lourdes afin de maintenir l'avion sur sa nouvelle route face à l'Ouest tout en essayant d'estimer leur situation. Le mécanicien essayait de comprendre quels étaient les systèmes perdus et quelles en étaient les conséquences. Terminant les «actions vitales», Martin regarda par sa fenêtre latérale pour détecter d'éventuels signaux de feu.
II n'oublierait jamais ce qu'il vit. Bien que dans les nuages, il était évident que, là où aurait dû se trouver le moteur extérieur et son pylône, il n'y avait rien d'autre qu'un trou béant dans le bord d'attaque. Surpris, Martin recula pour presser sa joue contre la vitre épaisse (sur un 707, du cockpit, il est quasiment impossible de vair les moteurs intérieurs) et put à peine entrevoir le trou déchiqueté laissé par le moteur n° 3. II hurla : «nous avons perdu les deux moteurs droits». Le mécanicien, Terry, répliqua, comme on le fait dans ces occasions : «Allez, Martin, ne fais pas l'imbécile avec ces blagues, les choses sont déjà suffisamment mal parties». Martin transmit rapidement un message Mayday, décrivant brièvement leur situation, demandant l'altitude minimale de sécurité (MSA) dans leur zone ainsi que des caps radar pour un atterrissage. L'ATC ne sembla pas se rendre compte de la gravité de leur situation et continua à leur demander leur position, position que Martin essayait d'obtenir de leur part. II détailla leurs problèmes structuraux et s'annonça «à la limite de la manoeuvrabilité» mais n'obtint aucune réponse utile.
En ramenant rapidement son regard sur l'horizon artificiel, Martin vit l'inclinaison augmenter au-delà de 55 degrés et n'en crut pas ses yeux. II pensa que ce basculement du gyroscope était dû à une panne électrique majeure et regarda immédiatement l'horizon de secours. Mais ça confirmait la position périlleuse de l'avion. Au même moment, dans un réflexe, le Commandant Bergelund débraya le pilote automatique et mis le manche et le palonnier en butée à gauche pour essayer de ramener l'avion dans sa ligne de vol. Entre le klaxon de débrayage du pilote automatique, la sonnerie assourdissante de l'alarme feu et divers bruits structuraux et aérodynamiques de l'arrière et de l'extérieur, une véritable cacophonie régnait au cockpit. Plusieurs fois, Martin et Terry essayèrent de couper la sonnerie de l'alarme feu en appuyant sur le voyant feu, mais sans succès. Les alarmes lumineuses flashaient et brillaient. En plus du vacarme des sonneries, un klaxon strident retentit, signalant un dépassement de l'altitude cabine normale.
L'avion descendit rapidement, en glissade à moitié de travers, à la limite de la perte de contrôle et dangereusement proche du moment où, le nombre de Mach augmentant, les commandes de vol manuelles deviendraient impossibles à manœuvrer même sous l'effort combiné des deux pilotes.
Après quelques secondes de désarroi, le Commandant récupéra le contrôle du vieil avion après un écart de cap de 90 degrés et réduisit la vitesse à une VA de 230 kt (vitesse de braquage maximale des gouvernes, également vitesse recommandée en cas de dégâts structuraux).
(...) Avant que l'équipage n'ait eu le temps de réfléchir à tout cela, il se retrouva à nouveau dans les nuages avec la turbulence sévère, en descente rapide vers les plus hautes montagnes d'Europe dans un avion désemparé. La plupart des gros avions Boeing, équipés de réacteurs à large fan, peuvent maintenir une altitude raisonnable avec la puissance de deux réacteurs, mais le 707 n'a pas cette chance à moins d'être à de très basses altitudes. Ayant brûlé dix tonnes de carburant, le 5N-MAS pesait maintenant environ 140 tonnes (moins quelques tonnes de moteurs). Son altitude de rétablissement trois moteurs (avec la puissance maxi continue sur les trois autres) serait inférieure à 20.000 ft et celle sur deux moteurs serait probablement en dessous du niveau du sol.
Ce qu'ignorait l'équipage, mais qu'il n'allait pas tarder à découvrir avec effroi, c'est qu'il avait perdu les deux moteurs droits. II n'avait pas seulement été privé de la poussée de ces deux moteurs, ce qui aurait déjà été dangereux en soi, mais il avait bien perdu l'ensemble des moteurs, avec les nacelles, le bâti et tout ce qui va avec. Ainsi étaient partis deux des quatre générateurs électriques, une des deux pompes hydrauliques principales, deux sources de prélèvement d'air et deux de leur trois compresseurs d'air cabine. Et pour tout aggraver, le système principal de sortie du train d'atterrissage et le système de sortie des volets étaient perdus, le circuit électrique était sérieusement dégradé et la pression cabine était en train de chuter. De plus, les tuyauteries carburants étaient sectionnées et les réservoirs structuraux rompus, mais cela ne deviendrait évident qu'au bout de quelques minutes.
En faisant ce qu'ils pouvaient, les moteurs numéros un et deux délivraient leur poussée maximum continue car, ne connaissant pas l'état exact de son avion, le Commandant essayait de perdre le moins d'altitude possible et avait demandé la check-list «feu moteur». Martin et le mécanicien navigant ont exécuté les encadrés pour le moteur n° 4 puis pour le n° 3, mais ils étaient perplexes devant la position des deux manettes de poussée droites qui ont tapé brutalement en butée sur l'avant du pylône. Ils tirèrent la manette coupe-feu n° 4 afin de couper l'arrivée du carburant, l'alimentation électrique et les prélèvements d'air du moteur extérieur, mais ne touchèrent pas à celle du moteur intérieur, voulant tirer avantage de la puissance qu'il pourrait éventuellement délivrer et conserver ainsi ses générations électriques et hydrauliques. (Seuls les moteurs intérieurs du 707 ont des pompes hydrauliques et la génératrice du moteur n° 3 délivre le courant de la BUS essentielle vers les instruments du panneau commandant).
Chaque membre d'équipage était entièrement occupé par ses propres tâches. Le Commandant fournissait un gros effort physique, luttant contre des commandes très lourdes afin de maintenir l'avion sur sa nouvelle route face à l'Ouest tout en essayant d'estimer leur situation. Le mécanicien essayait de comprendre quels étaient les systèmes perdus et quelles en étaient les conséquences. Terminant les «actions vitales», Martin regarda par sa fenêtre latérale pour détecter d'éventuels signaux de feu.
II n'oublierait jamais ce qu'il vit. Bien que dans les nuages, il était évident que, là où aurait dû se trouver le moteur extérieur et son pylône, il n'y avait rien d'autre qu'un trou béant dans le bord d'attaque. Surpris, Martin recula pour presser sa joue contre la vitre épaisse (sur un 707, du cockpit, il est quasiment impossible de vair les moteurs intérieurs) et put à peine entrevoir le trou déchiqueté laissé par le moteur n° 3. II hurla : «nous avons perdu les deux moteurs droits». Le mécanicien, Terry, répliqua, comme on le fait dans ces occasions : «Allez, Martin, ne fais pas l'imbécile avec ces blagues, les choses sont déjà suffisamment mal parties». Martin transmit rapidement un message Mayday, décrivant brièvement leur situation, demandant l'altitude minimale de sécurité (MSA) dans leur zone ainsi que des caps radar pour un atterrissage. L'ATC ne sembla pas se rendre compte de la gravité de leur situation et continua à leur demander leur position, position que Martin essayait d'obtenir de leur part. II détailla leurs problèmes structuraux et s'annonça «à la limite de la manoeuvrabilité» mais n'obtint aucune réponse utile.
II devenait extrêmement clair à Martin (...) que seule la meilleure combinaison de leurs compétences respectives plus une énorme chance pouvaient les sauver. Finalement, il convainquit les deux autres de leur situation désespérée et coupa l'arrivée du carburant du moteur n°3 (toujours sans pouvoir arrêter la sonnerie incendie) et poursuivit la lecture du reste de la check-list feu.
Et pendant ce temps, il répétait, sans cesse, ses messages Mayday, utilisant l'indicatif «Mayday 671 » car «il ne voulait pas mourir en essayant de faire la bonne phraséologie», mais il ne recevait que très peu d'aide ; il souffrit d'une série de changements de fréquences et de codes transpondeurs. Exaspéré par le manque de coopération de l'ATC et irrité par les interruptions constantes provenant du trafic radio en langue française des autres avions, il afficha finalement le code 7700 Ident et se concentra sur le calcul de leur position et de leur MSA.
Pendant toute cette activité, il lui apparut qu'entre un avion sévèrement endommagé, des vieux enregistreurs de vol et de conversations, un contrôle aérien qui ne comprend rien à rien, ils allaient probablement périr sans que personne n'en sache rien. II sortit donc son appareil et prit une photographie de l'aile droite endommagée.
A 22.000 ft, ils émergèrent des nuages et virent des sommets enneigés tout autour ainsi qu'une autre couche nuageuse plus bas. Heureusement, ils avaient encore de la marge au-dessus des Alpes et pouvaient évoluer visuellement autour des montagnes en laissant les hauts sommets derrière. II était temps de prendre des décisions tactiques ; le Commandant passa les commandes de cet avion à peine manoeuvrable à Martin pour cinq minutes, le temps de réfléchir à toute cette situation. II était clair que, malgré la poussée des deux moteurs restants, l'avion allait continuer à descendre et son temps de vol était compté.
Un contrôleur français leur fournit un cap sud vers Marseille Marignane ainsi que la dernière météo. Pendant ce temps, le Commandant donna l'ordre de commencer la vidange du carburant pour s'alléger au maximum et Terry, se faisant aider par le mécanicien sol et le cargonaute, utilisèrent les trois manivelles de secours du cockpit pour sortir laborieusement le train d'atterrissage. En consultant le radar de bord, il devint bientôt évident que des orages étaient sur la trajectoire d'approche vent de face pour la piste 32 à Marseille et qu'ils ne pourraient plus encaisser de turbulences supplémentaires. Le Commandant suggéra un virage à droite vers Palma, qui était accessible, mais le reste de l'équipage l'estima hors d'atteinte.
En se concertant, ils décidèrent que la conduite à adopter la plus sûre, était une tentative d'approche directe vers la piste opposée 14, à travers la couche fragmentée de stratus, malgré le vent arrière causé par la vallée du Rhône, le Mistral. Mais Martin, toujours inquiet, profitant de son expérience de vol sur avion léger dans cette région, regarda son routier haute altitude pour trouver des indications sur un meilleur terrain militaire qu'il connaissait. Le Commandant reprit les commandes pendant que Martin négociait à la radio et que les autres cherchaient les bonnes fiches d'approche, affichaient et identifiaient les moyens-radios. A ce moment, ils étaient descendus à environ 8000 ft, dans une large, haute étape de base à gauche, avec un vent venant du quadrant droit. La masse maximale atterrissage du 707 est de 1 12 tonnes, mais le 5N-MAS pesait encore, à ce moment là, environ 135 tonnes, masse à laquelle correspond, en situation d'urgence, une Vref de 150 kts. En augmentant normalement cette vitesse de la moitié du vent (avec un minimum de huit noeuds), leur vitesse d'approche sur quatre moteurs aurait dû être de 158 kts.
Mais la check-list atterrissage sur deux moteurs préconisait trente noeuds supplémentaires afin de maintenir un contrôle directionnel. (La Vmca sur deux moteurs est de 152 kt, seulement si le vérin hydraulique d'assistance de la gouverne de direction fonctionne. La Vmca sur trois moteurs sans ce vérin s'élève à 161 kts, mais personne n'a été assez pessimiste pour calculer une Vmca sur deux moteurs avec ce vérin en panne). Sur deux moteurs, le 707 exige des précautions extrêmes, et plusieurs d'entre eux ont été perdus dans ces conditions. L'année dernière, un 707 de la RAAF est parti en vrille pendant une démonstration à basses vitesses de sortie de Vmca.
En faisant leur virage à gauche vers le localizer de Marseille, Martin, dans un éclair de génie, regarda par dessus son commandant et vit, dans une trouée nuageuse en dessous, une grande piste qui se découpait dans la vitre arrière. "Ça serait mieux d'atterrir ici" dit-il, tout en essayant d'obtenir de Marseille Approche le nom du terrain. C'était la piste de 4000 mètres de long du Centre d'Essais en Vol d'Istres, un aérodrome de secours pour la Navette Spatiale. Parfait !!
Marseille Contrôle les transféra sur Istres Approche qui leur demanda leur position. "Ne vous affolez pas, nous sommes juste au-dessus" répondit Martin. "Nous débutons notre virage de procédure, nous rappellerons en vue". Et Martin aida son Commandant à faire son virage de base à gauche pour se positionner pour un circuit, vent de travers, en vue d'un atterrissage sur la piste 32 à Istres.
Au fur et à mesure que la vitesse diminuait, l'effort sur les commandes de vol devenait très intense et le Commandant Bergelund était en train de s'essouffler. Mais ils avaient à virer à gauche, dans le sens opposé aux moteurs vifs, pour rejoindre l'aérodrome. Haussant la voix pour surpasser la sonnerie incendie stridente, Martin demanda plusieurs fois de faire le virage, mais, entre deux essoufflements, le Commandant répondit qu'il ne pourrait pas le faire ; en fait, il ne pouvait plus garder la ligne de vol. Mais, s'ils ne viraient pas maintenant, ils allaient s'écraser sur cette bonne terre de Provence. Le Commandant, épuisé, semblait perdre le contrôle de la direction. Martin se pencha par dessus le pylône et réduisit les deux moteurs. Le lacet inverse balança l'avion dans un virage à gauche, puis Martin rétablit la pleine poussée sur le moteur intérieur et avança timidement la manette du moteur extérieur pour rétablir un certain contrôle.
A cause de leur taux croissant de descente, avec une poussée limitée pouvant à peine compenser la traînée des trains, l'approche vent de face semblait impossible. Mais le pire était à venir. Comme ils réduisaient la vitesse pour sortir les volets avec le circuit électrique de secours, il y eut une explosion. Du carburant, qui s'échappait des réservoirs éventrés et des canalisations rompues, s'enflamma au contact des fils dénudés qui dépassaient de la cavité laissée par le pylône du moteur n° 3. La moitié des volets droits fut arrachée par l'explosion (les débris endommageant l'empennage arrière) et le caisson d'aile fut sérieusement détérioré. Martin dut réduire le moteur n° 1 d'autant plus que l'incendie commençait à grignoter le bord de fuite, réduisant ainsi la portance de ce côté et rendant l'avion encore plus difficile à maintenir dans l'axe.Et pendant ce temps, il répétait, sans cesse, ses messages Mayday, utilisant l'indicatif «Mayday 671 » car «il ne voulait pas mourir en essayant de faire la bonne phraséologie», mais il ne recevait que très peu d'aide ; il souffrit d'une série de changements de fréquences et de codes transpondeurs. Exaspéré par le manque de coopération de l'ATC et irrité par les interruptions constantes provenant du trafic radio en langue française des autres avions, il afficha finalement le code 7700 Ident et se concentra sur le calcul de leur position et de leur MSA.
Pendant toute cette activité, il lui apparut qu'entre un avion sévèrement endommagé, des vieux enregistreurs de vol et de conversations, un contrôle aérien qui ne comprend rien à rien, ils allaient probablement périr sans que personne n'en sache rien. II sortit donc son appareil et prit une photographie de l'aile droite endommagée.
A 22.000 ft, ils émergèrent des nuages et virent des sommets enneigés tout autour ainsi qu'une autre couche nuageuse plus bas. Heureusement, ils avaient encore de la marge au-dessus des Alpes et pouvaient évoluer visuellement autour des montagnes en laissant les hauts sommets derrière. II était temps de prendre des décisions tactiques ; le Commandant passa les commandes de cet avion à peine manoeuvrable à Martin pour cinq minutes, le temps de réfléchir à toute cette situation. II était clair que, malgré la poussée des deux moteurs restants, l'avion allait continuer à descendre et son temps de vol était compté.
Un contrôleur français leur fournit un cap sud vers Marseille Marignane ainsi que la dernière météo. Pendant ce temps, le Commandant donna l'ordre de commencer la vidange du carburant pour s'alléger au maximum et Terry, se faisant aider par le mécanicien sol et le cargonaute, utilisèrent les trois manivelles de secours du cockpit pour sortir laborieusement le train d'atterrissage. En consultant le radar de bord, il devint bientôt évident que des orages étaient sur la trajectoire d'approche vent de face pour la piste 32 à Marseille et qu'ils ne pourraient plus encaisser de turbulences supplémentaires. Le Commandant suggéra un virage à droite vers Palma, qui était accessible, mais le reste de l'équipage l'estima hors d'atteinte.
En se concertant, ils décidèrent que la conduite à adopter la plus sûre, était une tentative d'approche directe vers la piste opposée 14, à travers la couche fragmentée de stratus, malgré le vent arrière causé par la vallée du Rhône, le Mistral. Mais Martin, toujours inquiet, profitant de son expérience de vol sur avion léger dans cette région, regarda son routier haute altitude pour trouver des indications sur un meilleur terrain militaire qu'il connaissait. Le Commandant reprit les commandes pendant que Martin négociait à la radio et que les autres cherchaient les bonnes fiches d'approche, affichaient et identifiaient les moyens-radios. A ce moment, ils étaient descendus à environ 8000 ft, dans une large, haute étape de base à gauche, avec un vent venant du quadrant droit. La masse maximale atterrissage du 707 est de 1 12 tonnes, mais le 5N-MAS pesait encore, à ce moment là, environ 135 tonnes, masse à laquelle correspond, en situation d'urgence, une Vref de 150 kts. En augmentant normalement cette vitesse de la moitié du vent (avec un minimum de huit noeuds), leur vitesse d'approche sur quatre moteurs aurait dû être de 158 kts.
Mais la check-list atterrissage sur deux moteurs préconisait trente noeuds supplémentaires afin de maintenir un contrôle directionnel. (La Vmca sur deux moteurs est de 152 kt, seulement si le vérin hydraulique d'assistance de la gouverne de direction fonctionne. La Vmca sur trois moteurs sans ce vérin s'élève à 161 kts, mais personne n'a été assez pessimiste pour calculer une Vmca sur deux moteurs avec ce vérin en panne). Sur deux moteurs, le 707 exige des précautions extrêmes, et plusieurs d'entre eux ont été perdus dans ces conditions. L'année dernière, un 707 de la RAAF est parti en vrille pendant une démonstration à basses vitesses de sortie de Vmca.
En faisant leur virage à gauche vers le localizer de Marseille, Martin, dans un éclair de génie, regarda par dessus son commandant et vit, dans une trouée nuageuse en dessous, une grande piste qui se découpait dans la vitre arrière. "Ça serait mieux d'atterrir ici" dit-il, tout en essayant d'obtenir de Marseille Approche le nom du terrain. C'était la piste de 4000 mètres de long du Centre d'Essais en Vol d'Istres, un aérodrome de secours pour la Navette Spatiale. Parfait !!
Marseille Contrôle les transféra sur Istres Approche qui leur demanda leur position. "Ne vous affolez pas, nous sommes juste au-dessus" répondit Martin. "Nous débutons notre virage de procédure, nous rappellerons en vue". Et Martin aida son Commandant à faire son virage de base à gauche pour se positionner pour un circuit, vent de travers, en vue d'un atterrissage sur la piste 32 à Istres.
Au fur et à mesure que la vitesse diminuait, l'effort sur les commandes de vol devenait très intense et le Commandant Bergelund était en train de s'essouffler. Mais ils avaient à virer à gauche, dans le sens opposé aux moteurs vifs, pour rejoindre l'aérodrome. Haussant la voix pour surpasser la sonnerie incendie stridente, Martin demanda plusieurs fois de faire le virage, mais, entre deux essoufflements, le Commandant répondit qu'il ne pourrait pas le faire ; en fait, il ne pouvait plus garder la ligne de vol. Mais, s'ils ne viraient pas maintenant, ils allaient s'écraser sur cette bonne terre de Provence. Le Commandant, épuisé, semblait perdre le contrôle de la direction. Martin se pencha par dessus le pylône et réduisit les deux moteurs. Le lacet inverse balança l'avion dans un virage à gauche, puis Martin rétablit la pleine poussée sur le moteur intérieur et avança timidement la manette du moteur extérieur pour rétablir un certain contrôle.
Toute l'expérience combinée de chacun était nécessaire pour aligner l'avion dans l'axe de la piste à cette grande vitesse inhabituelle. Le Commandant Bergelund maintenait une légère inclinaison à gauche avec les ailerons et la direction braqués à fond et faisait de petites corrections pendant que Martin régulait autant que possible la poussée du moteur intérieur pour les maintenir en l'air. Malgré les trente noeuds de Mistral arrière, ils n'osaient pas descendre en dessous de 200 kts de peur de perdre le contrôle directionnel. (La composante maximale de vent arrière autorisée pour le 707 est de dix noeuds).
A la masse de 130 tonnes, avec les volets partiellement sortis et une vitesse au-delà de 200 kts (le train d'atterrissage était calculé pour 112 tonnes à la vitesse de 195 kts), ils atterrirent juste après les "peignes" et légèrement à gauche de l'axe.
Martin dira plus tard : «Je n'ai jamais vu un aéroport défiler aussi vite!».
Alors qu'ils étaient encore en l'air, pour essayer de contrôler la vitesse, il laissa les manettes des gaz à son Commandant et se saisit de celle des spoilers (quoique seuls les spoilers intérieurs mus par le système auxiliaire aient fonctionné). Après le toucher, Terry tira précautionneusement la manette d'inversion de poussée du n° 2 jusqu'à l'inversion maximale.
Sur le 707, les reverses ne doivent être utilisées que symétriquement, mais Terry pensa à juste titre que, sans freinage hydraulique, la priorité était maintenant d'arrêter ce mastodonte. Tout en confirmant que les pédales de frein étaient devenues inutiles, le Commandant se saisit de la manette rouge de freinage pneumatique de secours située en bas à droite sur son panneau instruments. Ce système surpasse toutes les protections anti-skid et dérapage. II ne serait pas étonnant que, malgré des manipulations prudentes, quelques pneus allaient éclater. Mais il ne fallait pas que cela arrivât avant que la vitesse ne fut contrôlée.
Le Commandant Bergelund fit un atterrissage parfait, maintint rigoureusement l'axe, telle une flèche, malgré le vent arrière et les pertes de l'orientation de la roue avant et du freinage différentiel. La vitesse diminuant, la perte du contrôle directionnel devint inévitable. Aux environs des trois quarts de la piste, l'inversion de poussée du n° 2 les tirait inexorablement à gauche. Avec un sourire désabusé, Martin se souvint qu'ils avaient traversé très vite l'herbe pour venir s'arrêter à trente mètres d'un gros panneau en métal avec écrit dessus DO NOT PASS THIS POINT. Pendant toute ce chahut et cette glissade, il prit conscience d'un énorme vacarme à l'extérieur de l'avion.
II vit que toute l'aile n'était plus qu'un enfer de flammes et de volutes de fumées noires. II pensa que, bien qu'étant pour l'instant toujours vivants, ils n'allaient pas le rester bien longtemps à moins de se dépêcher. Réalisant qu'il était le seul à avoir vu le feu, il cria à Terry de fermer l'arrivée du carburant, de couper le circuit électrique, ouvrit brutalement sa fenêtre, se saisit de la corde d'évacuation, la déroula vers le sol et, en criant : «évacuez, évacuez, sortez maintenant», il s'y laissa glisser.
Avant de quitter l'avion, il vérifia que Terry le suivait bien et que le Commandant évacuait du côté opposé. Le cargonaute et le mécanicien sol durent sauter de la porte principale car le toboggan ne se gonflait pas. En arrivant au sol, Martin cria à ses collègues «venez tous, courez, (juron), courez !» et partit en trombe pour s'éloigner de l'épave. En jetant un regard en arrière, il trouva que la carcasse en flammes ressemblait au Torrey Canyon. II fut heureux de voir que ses compagnons d'équipage, toussant, s'éloignaient en titubant de cette grosse fumée noire. On aurait dit les hors-la-loi s'échappant du brasier dans le film "OK CORRAL' avec John Wayne.
Les pompiers arrivèrent sur place et commencèrent à arroser toute la structure de l'avion, d'abord avec de l'eau puis avec de la mousse. II faut les remercier de leur intervention rapide. Le cargo fut épargné et ne subit que des petits dommages supplémentaires, ce qui permit une grande accessibilité à la commission d'enquête. L'ensemble, de la perte des moteurs à la glissade finale, n'aura duré que 25 minutes et il n'était que huit heures trente du matin. Martin attribua leur survie à leur «sacrement bon travail d'équipe». II raconta que pendant leur examen médical, une heure et demie après, leur taux d'adrénaline était tel qu'ils avaient un rythme cardiaque quatre fois supérieur à la normale.
Bord de fuite totalement brûlé entre les moteur n 3 et 4. (Photo BEA) | Après une brève enquête de deux jours (pendant laquelle l'équipage s'excusa d'avoir fait fondre la piste), leurs hôtes français les invitèrent à un déjeuner arrosé de vins et de cognacs. Un Commandant de KC-135 (le 707 militaire) leur dit : «Pour ce cas d'urgence, nous évacuons en vol en sautant en parachute, pourquoi êtes-vous restés dans l'avion ?», «Facile» répondit Martin, "pas de parachutes !". Les deux moteurs manquants furent retrouvés dans les montagnes suisses, à 14.400 ft (4389 m) d'altitude et à 800 m l'un de l'autre. II apparut que la cause principale de l'accident était la rupture par fatigue d'une attache du pylône du moteur n° 3. Cette fatigue était elle-même due à une zone de corrosion. |
L'année suivante, l'équipage remporta le prix "Hugh Gordon-Burge Memorial Award" de l'Association Air Pilots and Navigators.
Une photo du 707 5N-MAS
Quelques images tirées du rapport du BEA concernant l'accident
PHOTOGRAPHIES/PLANCHES
Photo n°1: Vue générale de l'appareil, Vue plongeante sur les dégâts subis par l'aile droite.
Photo n°2 : Faisceau de câblage électrique au niveau du pylône du moteur n°3 (câbles rompus et brûlés - traces de court-circuits)
Photo n°3 : Tôles de revêtement de l'extrados au niveau du pylône du moteur n°3. Tôles déformées, gondolées, craquelées.
Photo n°4 : Les traces de feu partent du bord d'attaque au niveau du pylône du moteur n°3 en s'évasant vers le bord de fuite. On aperçoit, vers le bord de fuite, une longue crevasse rectiligne surplombant le circuit de mise à l'air libre du réservoir n°4.
Photo n°5 : Vue grossie d'une crevasse, faisant apparaître la canalisation rectiligne du circuit de mise à l'air libre
Photo n°6 : Bord de fuite totalement brûlé entre les moteurs n° 3 et 4
Photo n°7 : Les volets intérieurs et extérieurs ont disparu, laissant apparaître les mécanismes de manoeuvre
Photo n°8 : Intérieur du réservoir n°4. Deux nervures internes au moins ont été soufflées et déchirées par une explosion interne
Photo n°9 : Fuselage arrière droit brûlé. Traces de revêtement où la tôle est plissées, froissée.
Photo n°10 : Hublots craquelés et brûlés
Photo n°11 : Épave du moteur n°3, vue générale avant et dessus du moteur
Photo n°12 : Vue de l'attache médiane intérieure du pylône du moteur n,°3. La crique est repérée par une flèche.
Photo n°13 : Moteur n°4, avant du moteur sur son côté droit
Photo n°14 : Moteur n°4, arrière du moteur
Photo n°15 : Moteur n°4, entrée d'air impactée côté intérieur
Photo n°16 : Entrée d'air du moteur n°4, détail avec traces de peinture
Photo n°17 : Moteur n°3, attache médiane intérieure, restée sur l'aile
Photo n°18 : Moteur n°3, attache médiane intérieure, restée sur l'aile
Photo n°19 : Moteur n°3, attache médiane intérieure, vue grossie de la fissure
Photo n°20 : Moteur n°4, attaches pylônes
Photo n°21 : Moteur n°4, attaches pylônes, reconstitution sur pylône
Et le rapport du BEA:
http://www.bea.aero/docspa/1992/5n-s920331/htm/5n-s920331.html