Sinon, un article de JD Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman
Les 7 défis capitaux
Pour vaincre le virus
https://www.jd-giuliani.eu/fr/article/cat-2/672_Les-7-defis-capitaux.html
En conclusion :
"L’histoire de nos pays est rythmée de choix fatidiques de nos dirigeants, analysés rétrospectivement sans complaisance. L’ampleur de la crise économique et financière, désormais inéluctable, dépend des décisions qu’ils vont prendre dans les jours à venir. Tôt ou tard, il faudra recommencer à travailler et payer l’addition de l’arrêt brutal de la production. Au slogan « Restez chez vous » devra se substituer le mot d’ordre « Retroussons nos manches » et associer tous les acteurs au redressement de l’économie européenne, qui ne dépend pas seulement de la Banque centrale, du Conseil européen ou de la Commission. Les conditions dans lesquelles nous pourrons recommencer à travailler ne doivent pas être décidées dans la même confusion que celles dans lesquelles nous en avons été privés. Elles doivent être concertées, au moins à l’échelle du continent et, si possible, au-delà. Les mesures d’accompagnement et les plans de relance doivent s’additionner et non se concurrencer. Cette fois-ci il va vraiment falloir se serrer les coudes."
et
Covid-19 : Les réponses européennes
https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/actualites/covid19-26032020-fr.pdf
... Ce sont donc 870 milliards €, auxquels s’ajoutent 20 milliards € mensuels du programme d’achats, (relancé le 1er novembre 2019), qui vont être consacrés par la BCE au maintien de l’activité économique dans la zone euro. Ces mesures représentent 7,3% du PIB de la zone euro. C’est un soutien sans précédent et d’une ampleur exceptionnelle.De son côté, la Banque européenne d’investissement (BEI) a proposé un plan de 40 milliards € de financements pour les entreprises européennes, par des prêts-relais, des suspensions de remboursement de crédits et diverses mesures pour les problèmes de liquidité et de fonds de roulement.... mais des Etats en ordre dispersé
Toutes ces mesures n’ont pourtant pas empêché une impression d’inaction et de confusion, tandis que l’Europe devenait le foyer de la pandémie et que le nombre de morts sur le continent dépassait le bilan enregistré en Chine. ..
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« Il y a deux ou trois semaines, probablement, dans beaucoup d’Etats et peut-être aussi sur le plan de certaines institutions, on avait l’impression qu’on faisait face à une crise grave, mais sans déjà mesurer que cette crise était tellement exceptionnelle qu’elle allait nécessiter des réponses totalement exceptionnelles », a reconnu le Président du Conseil européen, Charles Michel
La santé n’étant pas une compétence communautaire, la Commission n’était pas équipée pour assumer d’emblée la gestion de la réponse à la pandémie. Elle l’était d’autant moins que, face à l’urgence, dans la crainte de la surcharge des services de santé et de la pénurie d’équipements, les Etats membres ont agi en ordre dispersé et parfois et détriment les uns des autres.
La France et l’Allemagne ont ainsi décidé, avant de changer d’avis, de bloquer les exportations d’équipements de protection qui auraient pu aider à contenir l’épidémie en Italie. A la date du 24 mars, quatorze pays avaient instauré des restrictions à leurs frontières, certains, comme la Pologne, déployant l’armée à leurs frontières. Malgré les appels à la coordination, les Etats membres ne se sont mis d’accord ni sur les mesures sanitaires à prendre, ni sur le rythme de leur mise en place en fonction de la progression de l’épidémie. Les différences d’approches et les diverses situations politiques, ont eu pour conséquence des décisions purement nationales, n’étant cohérentes ni avec la nécessité d’anticiper la situation en termes continentaux et globaux, ni avec la réalité d’une épidémie qui progresse par foyers régionaux[3]. La manière dont les Etats membres ont abordé la crise reflète certaines des différences dans d’autres domaines : les pays d’Europe centrale, socialement plus conservateurs, ont été plus prompts à fermer leurs frontières et imposer des restrictions aux populations très tôt dans la courbe épidémique ; les Pays-Bas et la Suède, pays plus libéraux (et moins solidaires dans les discussions budgétaires européennes), ont été les derniers à prendre des mesures pour limiter la propagation du virus. Entre les deux, des pays comme l’Allemagne ont fermé écoles et lieux publics mais n’ont pas confiné leur population. En outre, en raison justement des décisions unilatérales de certains Etats membres, la crise s’est déplacée des problèmes sanitaires et d’ordre public à la remise en question du fonctionnement de l’espace Schengen et du marché unique – deux des fondements de la construction communautaire. Des contrôles aux frontières ont entravé la circulation des biens de toute nature et, au passage, des équipements sanitaires.
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Plus important, l’ampleur économique de la crise a également obligé la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, à assouplir les règles en matière d’aides d’Etat[4]. Et le commissaire au commerce, Phil Hogan, déploie tous ses efforts pour tenter de préserver le bon fonctionnement du commerce international, comme évoqué lors d’une téléconférence des dirigeants du G7[5].A l’intersection de toutes ces questions, la Commission a engagé un début de coordination dans la gestion des équipements médicaux. Elle a d’abord lancé une procédure conjointe de passation de marché accélérée pour approvisionner les Etats membres en équipements de protection, puis a soumis à autorisation les exportations de ces équipements hors de l’Union. Le 19 mars, elle a créé une réserve stratégique de matériel médical, qui reste à abonder de manière suffisante.
Après plusieurs semaines, la solidarité européenne a toutefois fini par s’exprimer plus concrètement. Des hôpitaux en Allemagne, au Luxembourg ainsi qu’en Suisse ont commencé à accueillir des malades de l’Est de la France. Et la Bavière a décidé d’envoyer du matériel médical en Italie et d’accueillir des malades italiens.
Mais la désorganisation des Etats membres, le retard dans la coordination et le manque d’équipements dans certaines régions ont occulté ce qui se mettait en place au niveau européen alors que le bilan humain s’alourdissait chaque jour. Selon un sondage publié le 19 mars, seuls 35% des Italiens évaluent positivement le rôle joué par « Bruxelles »[6]- la métonymie ne reflétant une nouvelle fois pas les différentes responsabilités dans cet échec.Enfin, les institutions de l’Union, comme à leur habitude, et malgré les efforts personnels de la présidente de la Commission, n’ont pas su communiquer envers les citoyens.
Ce sont les Chinois, les Cubains, les Russes qui ont fait la une des quotidiens italiens, alors qu’ils apportaient une aide pas toujours désintéressée à l’Italie.
A Bruxelles, nul n’a su expliquer que l’Union, dont l’Italie, avait expédié 56 tonnes d’aide à la Chine dans la deuxième semaine de février, et que son assistance actuelle, appréciée, apparaissait aussi, en retour, comme une solidarité internationale dont l’Union se fait le chantre. En outre, des cyber-attaques, venues de Russie, ont affecté plusieurs hôpitaux et services publics, notamment dans le secteur de la santé et les « usines à trolls » se sont additionnées aux médias russes officiels pour poursuivre leur travail de désinformation destiné à accroître la confusion sur le territoire européen. Ces mauvaises actions auraient mérité des réactions plus vigoureuses et des contacts plus actifs, la Russie n’allant pas tarder à avoir aussi besoin d’aide extérieure.
L’Union, comme ses Etats membres, n’était pas prête à affronter une telle menace. Et si la dimension européenne retrouve peu à peu un intérêt pour les gouvernements, tous les acteurs concernés apprennent au fil de la crise, à s’organiser de mieux en mieux. Des concertations ont lieu entre responsables de la santé publique, les chercheurs partout sur le continent, bénéficient des crédits débloqués par la Commission. Les Européens retrouvent dans la douleur le chemin nécessaire de la coopération.
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Anticiper les crises
L’Union devra aller plus loin et entamer un travail d’anticipation des crises futures. Dès que possible, les Etats membres et les institutions devront travailler sur des scénarios de « cygnes noirs », ces événements imprévisibles aux conséquences incalculables et préparer des plans d’urgence épidémiologique, technologique, climatique et dans tous les domaines où la stabilité de l’Union et l’intégrité de ces citoyens pourraient être menacés.Le Covid-19 aura démontré qu’aucun scénario n’est impossible et qu’aucune crise ne peut être traitée uniquement au niveau national. Préparer l’avenir, en prévoyant le rôle de chacun, du niveau local au niveau communautaire, en établissant des protocoles, des plans de sauvegarde et des stocks de ressources, biens et équipements gérés collectivement, doit être une priorité
Dans un premier temps, l’Union pourrait exploiter les mécanismes existants et préciser sa doctrine sur la gestion de crise. RescEU, le système européen de lutte contre les catastrophes naturelles, a été lancé en 2017 pour lutter contre les incendies et autres catastrophes naturelles. Il pourrait être également utilisé pour soutenir les Etats confrontés à des pandémies ou autres situations mettant en péril sa population et l’organisation de ses services essentiels.
De même, l’article 222 du Traité sur le fonctionnement de l’Union prévoit que « l'Union mobilise tous les instruments à sa disposition, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les États membres » pour, « entre autres, porter assistance à un État membre sur son territoire, à la demande de ses autorités politiques, en cas de catastrophe naturelle ou d'origine humaine. » La Commission et le Conseil auraient pu invoquer cette disposition pour soulager l’Italie, voire l’Espagne, et limiter le coût humain, économique et, en termes d’image, de la pandémie.
L’une des réflexions suscitées par la crise actuelle porte sur les libertés publiques....
Alors que l’Union est devenue le foyer le plus important de la pandémie à ce jour, les Européens doivent réfléchir à la manière de gérer une crise similaire plus rapidement et plus efficacement sans avoir à affaiblir durablement leurs libertés.
L’usage de technologies s’est imposé en Asie, qui utilise les données de masse (big data) pour suivre et anticiper les mouvements de population par l’analyse des réseaux de téléphone mobile. L’Autriche et l’Italie ont fait de même pendant la progression de la pandémie et certains Etats trouveront dans la pérennité de ces pratiques un outil utile à conserver, voire à développer. Il y a urgence à tracer des limites temporelles et matérielles communes à ces exceptions.
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Par ailleurs, la pandémie aura révélé les vulnérabilités d’une Europe trop dépendante de l’extérieur, y compris pour les médicaments et les équipements sanitaires. Il s’est ainsi avéré que seules la France, l’Allemagne, la Pologne et la République tchèque étaient en mesure de produire les masques de protection dont manquent les personnels de santé et, par-delà, l’ensemble de la population[8].De même que les Européens doivent prévoir leur réaction à toute éventualité, ils doivent définir les secteurs, les biens et les équipements qui lui permettront de faire face à toute crise future de manière autonome et souveraine et d’être capables de venir en soutien des populations qui en auraient besoin. Une véritable « relocalisation » de l’industrie européenne doit être recherchée par une stratégie coordonnée. La stratégie industrielle, présentée le 10 mars par Thierry Breton, fournit une base de réflexion solide pour les dirigeants européens[9], qu’ils devront mettre en œuvre au regard des leçons à tirer de cette crise.
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Renforcer le sentiment d’appartenance européenne
Le bilan humain encore inconnu, les restrictions imposées dans chaque pays à des degrés divers, ainsi que leurs conséquences économiques et sociales auront un impact sur la psychologie et la cohésion des sociétés européennes. La manière dont les individus et les communautés auront vécu le confinement pourrait accentuer les tensions sociales ; le rythme et la nature de la reprise économique nécessiteront un accompagnement social à tous les niveaux. Alors que l’Union s’est engagée dans la double transition climatique et numérique, un projet qui implique des bouleversements économiques, sociaux et sociétaux, et qui suscite déjà des dissensions entre Européens, elle devra également renforcer le sentiment d’appartenance à la même communauté, pour créer les conditions d’une résilience coordonnée. La volonté d’agir en commun sur le plan économique et social sera essentielle. Mais il faudra également tenir compte du sentiment d’abandon ressenti par certaines populations, en particulier en Italie, et de l’impact de la crise sur les perceptions collectives de l’Europe.
Les dirigeants européens devront défendre l’idée européenne par des projets concrets, face aux eurosceptiques qui ne manqueront pas de faire porter à « l’Europe » la responsabilité d’une crise difficilement maîtrisable.La conférence sur l’avenir de l’Europe, qui devait être lancée le 9 mai et dont le déroulement comme les finalités restaient flous en raison de la compétition pour son contrôle entre acteurs politiques et institutionnels, pourrait jouer le rôle qui lui était assigné par ses promoteurs : créer un grand dialogue et un élan collectif européen.
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Quelques jours avant que le premier cas de Covid-19 ne se manifeste sur le territoire de l’Union, les chefs d’Etat et de gouvernement se séparaient après trente-six heures de discussions, sans avoir pu s’accorder sur le budget de l’Union pour 2021-2027. Alors que l’Europe se met à l’arrêt sous l’effet de la pandémie et que le Conseil européen du 26 mars a été réduit à une visioconférence dédiée à la crise, il est improbable que la négociation budgétaire, pourtant déjà urgente, trouve prochainement une conclusion.Lorsqu’ils pourront de nouveau regarder vers l’avenir, les dirigeants européens ne manqueront pas de travail pour relancer le projet européen. Le projet de budget pluriannuel (représentant 1,074 % du revenu national brut européen) qui était sur la table des discussions en février, ne sera pas à la hauteur des besoins de l’Union et des attentes des Européens. Il faudra faire beaucoup plus. Argent, mais aussi ambition, solidarité et volonté politique seront nécessaires pour relever le défi de la résilience et assurer les intérêts stratégiques de l’Union dans un monde dont les paramètres auront encore changé.
https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/divers/decisions-europeennes.pdf
https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/divers/decisions-sanitaires-des-etats-membres.pdf
https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/divers/decisions-economiques-des-etats-membres.pdf