Je tombe 'par hasard' sur un mensuel, sur la médecine aéronautique
http://www.aeromed.fr/AEROMEDN26.pdf
(il suffit de changer le n° à la fin de l'url pour obtenir le n° souhaité)
dont les versions d'il y a 12 ans environ revenaient sur cette 'grande' époque
et la genèse des différents modèles.
Avec les mémoires de Georges Ville, et Ziegler, par exemple.
26 L'avant dernier article http://www.aeromed.fr/AEROMEDN26.pdf
Pensant qu’il était plus opportun de s’intéresser à ses compétiteurs américains, Boeing a sous-estimé Airbus et son organisation de coopération ; au début des années 90, après le retrait de Lockheed et la lente agonie de MDC dans les activités civiles, Boeing se retrouve face à Airbus pour seul compétiteur.
Boeing va prendre conscience de cette nouvelle concurrence à la suite de trois événements :
• Le premier est le lancement en 1987 de la famille A330-A340 dans le marché des avions long-courriers de grande capacité.
• Le second intervient quelques années tard au Salon du Bourget de 1991avec l’annonce de Jean Pierson concernant les réflexions d’Airbussur un projet dénommé A3XX répondant à une
mission long-courrier de très grande capacité (supérieure à 500 sièges).
• Et pour finir en 1992, la commande de 50 A320 par United Airlines confirme la supériorité de l’A320 sur son produit 737.
De telles agressions ne sont pas supportables pour Boeing et celui-ci va mettre en œuvre une offensive tous azimuts contre Airbus ; il retient à cette époque le slogan interne « to kill Airbus ». Bénéficiant d’un faible taux du dollar (appréciable avantage de compétitivité de l’ordre de 20 à 30%), Boeing pense réunir ainsi tous les ingrédients nécessaires pour faire plier son adversaire.
1ère voie d’action : une ambitieuse politique de produits :
La première contre-attaque de Boeing intervient dans le domaine des produits avec le lancement du 777 en octobre 1990 ; ce bimoteur long-courrier de grande capacité (concurrent des d’Airbus) sera misen service en 1995 ; les trois motoristes acceptent le développement d’un moteur adapté au besoin du nouvel avion alors qu’ils l’ont refusé à Airbus pour l’A340. Dans la compétition avec les A330-A340, le succès actuel de cet avion souligne la qualité du travail de Boeing.
Avec le lancement en novembre 1993 du 737-600, Boeing poursuit son objectif de contrer le succès commercial de l’A320 d’Airbus mais là, il faut reconnaître que sa réussite est moins évidente.
2ème voie d’action : une guerre des prix de vente :
Dans le même temps, Boeing engage une profonde réforme de ses processus industriels avec des objectifs ambitieux de réduction des cycles et des coûts (moins 25%) ; il proclame haut et fort que ces améliorations sont envisagées pour le bien des clients et propose en conséquence un prix du 737-600 réduit de l’ordre de 20% pour contrer le succès de l’A320 (voir ENCART N° 4)
.Airbus face à la guerre des prix de vente.
« Boeing a bien ciblé son offensive en faisant porter son action sur l’A320 produit phare d’Airbus ; Boeing pense qu’Airbus ne pourra le suivre sur ce terrain où il supporte déjà le handicap de taux de change défavorables. Dès la mise en œuvre de la nouvelle politique commerciale de Boeing, Airbus subit trois échecs dans des négociations pourtant bien engagées (SAS, Hapag Lloyd, ValuJet) ; Jean Pierson saisit alors les partenaires et leur présente l’alternative : suivre ou ne pas suivre la guerre des prix. La décision de suivre est prise ; la réactivité du système fait que dès le lendemain, chacun des partenaires lance dans
sa propre organisation son programme de réduction des coûts. Qui va gagner, commercialement et industriellement ? Ce ne sera pas celui que l’on attendait comme on le verra plus loin ! »
3ème voie d’action : une déstabilisation de la coopération Airbus :
Boeing essaye de fragiliser la coopération en jouant sur les frustrations des partenaires. Boeing ne cherche pas à se concilier Aérospatiale considéré comme son véritable concurrent : celui-ci est le seul dans la coopération à posséder le savoir-faire d’intégrateur et d’ensemblier, domaines d’activité que Boeing conserve dans tous ses programmes.
Boeing tente sa chance auprès de BAe qui écoute mais ne se laisse pas séduire.
En revanche auprès de DASA, le chant des sirènes opère et en 1993 lors d’uneréception grandiose de l’état-major de Daimler-Benz à Seattle, ce dernier se laisse convaincre de l’intérêt d’une coopération transatlantique sur l’avion de 500 places, ce sera l’épisode VLCT dont nous avons déjà parlé.
4ème voie d’action : un soutien sans faille de l’administration américaine :
Reprenant les critiques sur le financement des programmes Airbus, Boeing convainc l’administration américaine de saisir le GATT (General Agreement for Tarifs and Trade) pour entrave à la libre concurrence et à l’économie de marché. Les discussions, traitées directement entre les États-Unis et la CEE, aboutissent en juillet 1992 à un accord bilatéral réglementant toutes les formes d’aides publiques qu’elles soient sous forme d’avances remboursables (limitées à 30% des coûts de développement) ou de subventions à la recherche (limitées à 4% du chiffre d’affaires).
En prolongement de son action commerciale Boeing réussit, grâce à un fort soutien politique, à faire revenir de son côté plusieurs négociations évoluant dans une direction qui ne lui était pas favorable ; plusieurs exemples aux États-Unis, au Japon et en Arabie Saoudite sont encore dans les mémoires.
5ème voie d’action : un renforcement industriel :
Du fait du développement rapide des activités civiles, celles-ci représentent une proportion de l’ordre de 80% du chiffre d’affaires de Boeing ; une telle situation fragilise l’entreprise obligée de supporter les coûteux développements et les à-coups de livraison des produits civils. Aussi, Boeing cherche un meilleur équilibre de ses activités en renforçant sa partie militaire avec l’absorption de Rockwell Aerospace and Defense en 1996 et de MDC en 1997 ; grâce à cette croissance externe, Boeing réduit ainsi sa dépendance et ramène la proportion de ses activités civiles au niveau de 60% : grâce aux militaires, il peut aussi mieux assurer le financement de sa recherche.
27 Le dernier élément de cette série d'articles de G. Ville http://www.aeromed.fr/AEROMEDN27.pdf
...
En matière de coûts, les actions de réduction conduisent à des résultats remarquables. Rappelons les conséquences de la guerre des prix initiée par Boeing en 1994 ; pour suivre les baisses de prix de vente,les partenaires s’imposent des objectifs de réduction de coûts du même ordre de grandeur selon des plans d’actions adaptées à chaque part de production et chaque culture d’entreprise ; les résultats à l’avantage d’Airbus dans cette compétition avec Boeing démontreront la réactivité et l’efficacité de la coopération, que ce soit dans le respect des délais ou dans la tenue des objectifs de coûts ; ainsi
en 1997 Boeing est conduit à reporter la livraison de plusieurs dizaines d’avions et à afficher des pertes importantes alors que le système Airbus atteint sans problème sa montée en cadence et ses propres objectifs de réduction des coûts.
....
Ces nouveaux comportements des partenaires amènent une contestation de la structure de la coopération.
Et pourtant, sa pertinence peut se mesurer au chemin parcouru depuis son lancement :
- dans le domaine technique avec la qualité des produits réalisés
- dans le domaine commercial avec la conquête progressive du marché
- dans le domaine industriel avec la montée en puissance de l’outil de production
- et dans le domaine financier avec l’avantage pris par Airbus lors de la guerre des prix de revient lancée en 1993 par Boeing.
« Plusieurs réflexions menées sur le sujet ont montré que l’efficacité industrielle de la coopération reposait sur trois facteurs :
- la spécialisation des centres industriels (voulue et imposée par Félix Kracht)
- la grande réactivité du système (grâce à la séparation de la direction générale et des fonctions opérationnelles)
- et la mise en place de forfaits dans les relations internes. »
La recherche permanente d’une organisation efficace en dépit des implications contraignantes de la coopération ont conduit à une structure contractuelle originale qui en rend la lecture difficile pour les non-initiés. Tant que le système est resté entre les mains de ses concepteurs, toutes les parties acceptaient ses spécificités opératoires ; en revanche après le départ des pionniers, les nouveaux arrivants vont le rejeter parce qu’il ne correspond
pas aux standards de gestion des entreprises
Au-delà de son caractère non classique, que reproche-t-on au système Airbus ? En premier, la lourdeur de son processus de décision apparaît pertinente car l’application des statuts du GIE exigeaient l’unanimité des membres dans toute décision stratégique ; toutefois l’histoire d’Airbus montre qu’aucune défaillance n’est intervenue sous ce prétexte.
Un autre point de controverse est l’opacité des coûts : celle-ci n’est que le prolongement du traitement forfaitaire des prestations ; toutes les expériences de coopération dans la transparence financière (Concorde, produits militaires...) ont suffisamment montré leur inefficacité pour que l’on ait retenu un autre principe dans l’édification d’une coopération soumise à la dure loi de la concurrence.
Derrière les critiques du système se cache une autre motivation pour DASA et BAe : affaiblir la position centrale d’Aérospatiale dans le système en exploitant les prétendues faiblesses liées à son appartenance au secteur public. Les messages envoyés par DASA et BAe sont repris par des médias et des administrations plus ouverts aux prises de positions libérales, même si celles-ci reposent sur des raisonnements simplistes ; avant même le démarrage des discussions, Aerospatiale est mis dans une situation de faiblesse ce qui ne facilitera pas la défense de ses intérêts dans les négociations à venir.
Le système est ainsi entraîné à promouvoir une évolution de son organisation au fur et à mesure des réflexions menées sur le sujet. Trois démarches, en1987, 1991 et 1995, vont être nécessaires avant d’aboutir en 2000 au nouvel Airbus créé sous la forme d’une SAS (Société par actions simplifiée de droit français) détenue à 80% par EADS et à 20% par BAe Systems. Le GIE cède alors la place à la nouvelle organisation après trente années de bons et loyaux services (voir ENCART N°
.
Le système Airbus dans le cadre du GIE: « mon enfant »
« Mon exposé peut sembler critique vis-à-vis des démarches entreprises pour faire évoluer le système Airbus : c’est vrai et je tiens à m’en expliquer car pour beaucoup je ne peux être crédible pour en parler du fait de ma participation dans sa conception.
Cette organisation est considérée comme mon « enfant » du fait de mon implication dans la mise en œuvre des quatre textes fondateurs de la coopération :
- l’accord intergouvernemental de mai 1969
- les statuts du GIE entérinés en décembre 1970,
- la convention cadre entre Airbus et l’Agence exécutive en juin 1971,
- les accords industriels de série conclus en mars 1968.
Je reconnais être marqué par une telle expérience, mais étant celui qui a le plus approfondi son fonctionnement, je pense avoir le droit et le devoir de l’analyser, d’en reconnaître les faiblesses et d’en défendre l’efficacité. »
Épilogue : la contribution française au succès d’airbusArrivé aux termes de cet exposé, que peut-on conclure ? En premier, cette extraordinaire aventure a permis à l’industrie européenne d’atteindre une maturité aussi
brillante qu’imprévue dans le domaine concurrentiel de la construction aéronautique civile ; il est sûr que les erreurs de nos concurrents américains nous ont aidés, mais cela ne doit pas nous
conduire à minimiser les trente années d’efforts, d’intelligence et d’imagination qui ont permis d’atteindre ce résultat.
L’histoire d’Airbus n’est pas terminée et il reste encore de nombreux chapitres à vivre et écrire mais nous laisserons à d’autres le soin d’en parler.
La contribution française a été essentielle dans la réussite de la coopération Airbus et j’aimerais en rappeler les apports les plus marquants dans les domaines du savoir-faire technique et de l’efficacité industrielle ; ceci ne doit pas nous faire oublier les autres contributions françaises à la réussite de la coopération que ce soit en matière de stratégie de produits (A300, A320,
et famille A330-A340), d’élaboration d’une administration efficace de la coopération (l'accord intergouvernemental, statuts du GIE, convention cadre et accords industriels) et de mise en place d
es infrastructures nécessaires (Autorités de Certification, centres d’essais au sol et en vol).
Aérospatiale a eu un rôle majeur en matière technique grâce à l’expérience acquise lors des programmes précédents et au développement de son savoir-faire d’intégrateur tout au long des
programmes : il est intéressant de remarquer ici que les domaines de responsabilité Aerospatiale recouvrent ceux que Boeing conserve dans ses programmes.
Cette contribution est à l’origine des succès commerciaux d’Airbus et l’on ne répétera jamais assez l’importance de Concorde dans cette réussite ; il suffit de regarder les grandes innovations apportées parles produits Airbus pour voir que celles-ci prolongent chaque fois des avancées testées sur Concorde :
commandes de vol électriques, architecture et intégration des systèmes, aménagement et ergonomie du poste de pilotage, centralisation des alarmes, analyses de sécurité... ; il faut reconnaître toutefois que cette « fontaine de technologies se tarit de jour en jour et qu’il devient urgent de prolonger l’effet Concorde par une politique de recherche dynamique si l’on ne veut pas voir Boeing dépasser Airbus sur ce plan.
L’efficacité industrielle est aussi une priorité permanente de la Division Avions d’Aerospatiale tout au long de l’histoire d’Airbus car l’entreprise doit assurer par elle-même la montée en puissance de son outil technique et industriel (voir ENCART N° 9).
Les contributions de l’Etat actionnaire à Aerospatiale« Aérospatiale n’a bénéficié sur le plan industriel d’aucune aide gouvernementale à la différence de son partenaire allemand ;
les aides apportées par le gouvernement français concernent uniquement les avances remboursables ; la situation à la fin 1997 correspondait à :
- un montant cumulé des avances de 19 milliards de francs,
- un montant cumulé des remboursements de 10 milliards de francs.
La situation nette s’établit à cette date au niveau de 9 milliards de francs, montant très inférieur au total du soutien apporté par le gouvernement allemand et estimé ci-dessus à 10 milliards de marks soit 34 milliards de francs.
En tant qu’actionnaire d’Aerospatiale, l’Etat n’a pas non plus apporté sous forme d’augmentation de capital les ressources nécessaires à l’extension de ses activités aéronautiques civiles ; heureusement que les marges dégagées par quelques contrats militaires à l’exportation ont permis de couvrir les forts besoins d’investissement qui y étaient attachés. »
Les efforts portent en priorité sur les coûts de production et les améliorations s’enchaînent au fur et à mesure des programmes.
Avec les perspectives de croissance attachées au programme A320, un changement plus radical s’impose et Jacques Plenier, directeur de la division, lance en 1987 une« démarche industrielle » bouleversant de fond en comble l’organisation et les méthodes de travail de l’entreprise ; les conséquences en terme d’efficacité seront très appréciables. Cette démarche est complétée au milieu des années 1990 par un nouveau plan de réduction des coûts (25 à 30%) consécutifà la guerre des prix de vente initiée par Boeing (voir ENCART N° 10).
Aerospatiale-Avions le constructeur le plus productif La Division Avions va ainsi devenir l’entreprise la plus performante dans le secteur de la construction aéronautique civile.
« Sur la base d’une veille économique permanente, j’ai réussi à reconstituer l’évolution de la compétitivité des principaux avionneurs civils au cours de la décennie 90.
Le paramètre représentatif de l’efficacité industrielle est la marge de production (écart entre le prix de vente et les coûts de production) exprimée en % du chiffre d’affaires : dans une saine gestion, ce paramètre doit dépasser 20% pour couvrir l’amortissement des développements, les frais de structure, les taxes et la rémunération des actionnaires.
Pour l’année 1997 après avoir corrigé des effets monétaires, les niveaux de marges estimées pour les activités avions civils étaient de :
- 23% pour Aérospatiale Avions,
- 13% pour Daimler-Benz Airbus (anciennement Deutsche Airbus),
- 21% pour Bae
- 17% pour Boeing. »
Lors de la fusion avec MATRA, Jean-Luc Lagardère va découvrir avec Airbus un joyau inattendu dans les actifs de l’entreprise publique.
Malheureusement ces mérites n’étaient pas reconnus au sein de la société Aérospatiale et ceci s’avérera très dommageable dans les valorisations menées tant pour la fusion
Aérospatiale-MATRA que lors de la création de EADS (voir ENCART N° 11).
La regrettable valorisation d’Aerospatiale-Avions« La direction générale d’Aérospatiale de l’époque ne croyait pas à l’efficacité de sa division et le nouveau président avait une vision déformée des activités Airbus ; celui-ci considérait Airbus comme la « danseuse » de ses prédécesseurs dilapidant les ressources dégagées par les activités militaires dont il avait la responsabilité. Je rappellerai deux circonstances où une reconnaissance des mérites de la division avions aurait amené une meilleure appréciation de l’activité Airbus dans les négociations :
- la politique de couverture de change menée à l’époque ne reposait pas sur une gestion du dollar en prolongement des activités avions : inquiet des conséquences, je m’en étais ouvert en 1997 dans une lettre personnelle au président mais je fus éconduit ; les conséquences en furent très lourdes lors la fusion avec MATRA (je les ai estimés de l’ordre de 10 milliards de francs à partir de la documentation distribuée pour la fusion Aérospatiale-MATRA) ;
- à l’occasion de la fusion EADS, les valorisations retenues pour les activités Airbus ont été acceptées par les négociateurs français sur la base d’une plus grande efficacité du partenaire allemand de l’ordre de 1 milliard de francs annuel alors que toutes mes analyses aboutissaient au résultat opposé ; le constat dans les comptes fusionnés d’Airbus confirmera mes dires mais il sera trop tard pour revenir sur les résultats de la négociation.
Ayant quitté la vie active en 1999 je n’ai pas participé aux discussions bien que j’ai proposé mon aide si on l’estimait utile.
Vis-à-vis de tous ceux qui ont fait confiance à la division dans cette recherche d’efficacité, je me sens redevable de faire connaître ici leurs performances et ceci est la raison de ce plaidoyer. Dans le même registre, j’avoue ressentir encore aujourd’hui une amertume et un ressentiment pour ceux qui n’ont pas su mieux mettre en valeur l’apport de leurs personnels plus de trente années durant à une aussi belle aventure. »