Poncho (Admin) a écrit:Eolien que connais-tu aux itinéraires de convoi exceptionnels ?
Rien.
Mais ... les Français et le Système D
J'ai passé le contrôle en vol pour devenir commandant de bord sur Super Guppy (voir Youtube), en transportant une aile éprouvette d'Airbus d'Angleterre à Neubiberg, petit aérodrome militaire près de Munich où l'aile que nous transportions devait être torturé pour valider les calculs de limite de flexion, de déformation permanente et de rupture.
Or, pour transporter une aile, il suffisait d’habitude d'un seul bâti. L'aile arrivait sur son bâti, une remorque hydraulique bien alignée l'élevait au niveau du plancher du Super Guppy et elle roulait sur des rails dans la soute du gros poisson où elle était arrimée.
L'extrémité de l'aile était donc libre et oscillait naturellement au gré des turbulences.
Mais pour les tests envisagés, il n'était pas acceptable que l'aile subisse durant le transport quelque effort que ce soit.
Spécialement pour ce transport, une deuxième petite plate-forme avait été installée au bout de l'aile pour la soutenir et lui éviter tout effort parasite. Seulement voilà, l’usine de Neubiberg ne disposait que d'une seule remorque hydraulique. Pour garantir l’intégrité de l’aile durant le transport par route, la solution consistait en une pièce de métal fixée en bout d'aile. Une grue attendait que l'aile soit presque sortie de l'avion. Une pièce mâle fournie par les anglais était alors placée entre les mâchoires de la pièce femelle fixée sur l'aile, un goujon était enfilé, la grue mettait le câble en tension et l'ensemble partait en convoi vers l'usine, située non loin de là, le bout de l'aile soutenu par la grue.
Mais voilà, rien ne se passa comme prévu. Tout d'abord une tempête de neige fit avorter l'approche ADF (Radio-Compas). Pendant la remise de gaz, on entrevit la piste à travers le mauvais temps. Il était inutile d’insister et on dérouta sur Munich où nous fûmes bloqués trois jours par le mauvais temps.
Quant on fût enfin posé à Neubiberg,, tout le monde se précipita car le temps était compté : par l'usine qui attendait l'aile éprouvette et par les usines Airbus qui frôlaient le chômage technique puisque le Super Guppy avait somnolé sous la neige à Munich..
Lorsque l'avion fut enfin ouvert, la remorque hydraulique chargée du bâti fut avancée et stoppée pour installer le filin de la grue, les allemands essayèrent d'enfiler le goujon, et ce fut la consternation.
Le goujon ne rentrait pas, les trois trous n'étaient pas alignés en face les uns des autres.
Appelé sur les lieux le directeur de l'usine devint fou de rage, il prit la liasse de documents que nous lui avions remise et les balança en l'air. Tous les feuillets voltigèrent dans la neige. Les ouvriers se précipitèrent pour les ramasser.
" Nein ! " hurla le directeur qui se mit à les piétiner de rage dans la neige.
" Sapotache !..." hurlait-il en insultant tous les sujets de sa gracieuse majesté en général et ceux des usines anglaises en particulier...
Il faut dire qu'à cette époque les "ratés" fréquents du partenaire britannique prêtaient à suspicion (il est utile de rappeler qu'à cette époque les britanniques se targuaient de n'acheter aucun Airbus … mais que des Boeing...)
C’était la consternation, car il fallait démonter la pièce du bout de l'aile, faire venir un petit jet pour transporter l'ensemble en Grande-Bretagne et attendre le retour... avec les aléas de la météo...
Quatre jours minimum !... Et pendant ce temps le Super Guppy et nous serions bloqués dans ce patelin glacial à jouer les esquimaux... et les usines en chômage technique...
Le Mécanicien Navigant (aujourd'hui copilote sur A380) me dit : " Mais il y a une solution !..." Il m'expliqua : " On met une remorque plateau sous le bout de l'aile. On la remplit de madrier jusqu'à arriver à quelques centimètres de l'intrados. On garnit l'espace restant de planches jusqu'à enfoncer la dernière en forçant très légèrement. Et tout ça part à l’usine en convoi à vitesse réduite. Métal sur bois, il n'y a aucun risque..."
" Génial !" m'écriai-je, heureux de quitter ce patelin polaire et de terminer mon contrôle en vol.
Nous courûmes informer le directeur de la bonne trouvaille de notre Mécanicien-Navigant...
Je lui expliquais l'astuce trouvée par mon collègue :
" Ach ! Gut ! Mais ce n'est pas bossiple !"
" Mais pourquoi ?" demandais-je, surpris et déçu car je m'apprêtais à intervenir s'il avait sauté de joie trop haut et éviter un accident.
" Ach ... Ce n'est pas brévu …"
" Mais ce n'est pas prévu non plus que les anglais sabotent le toutim !..." lui rétorquais-je.
" Ya ! "
" ... et métal sur bois il n'y a aucun risque ..."
" Ya ..."
" Alors on le fait ?" demandais-je avec l'optimisme de la jeunesse.
" Nein !"
" Mais pourquoi ?"
" Barce que ce n'est bas brévu !!..."
Je passais de longues minutes à lui expliquer ce qu'il avait parfaitement compris, à lui faire miroiter tous les avantages pour les plannings si nous débarquions l'aile, qu'il en serait le premier avantagé, que tous ses collègues allemands de Brêmen, de Lenwerder, de Finkenwerder lui tresseraient des louanges...
Finalement, il se rendit, et la mort dans l'âme organisa le processus imaginé par notre Mécanicien-Navigant
Tout se passa sur des roulettes et nous quittâmes enfin ce directeur qui était toujours mortifié de faire quelque chose qui n'était pas prévu dans le manuel.
De cette expérience de 7 ans comme commandant de bord sur le Super Guppy, j'ai pu mesurer combien les allemands sont les rois de l'organisation et du respect de l'ordre, mais aussi combien les français sont réactifs, imaginatifs et prompts à s'adapter lorsque tout va mal...