Les 5 premières secondes ...
L'actualité aéronautique étant calme, je reviens sur les 5 premières secondes qui ont suivi les défaillances des sondes Pitot, car elles me paraissent essentielles à la compréhension de cet accident.
Pourquoi ? Parce que dans ce laps de temps, les pilotes, et surtout le pilote aux commandes, vont se faire de la situation une image mentale erronée en regard de la situation réelle, représentation mentale qui va entrainer ce que le BEA a qualifié d’"actions inappropriées".
Il est indispensable, essentiel de considérer tout ce qu’il s’est passé durant ces 5 cruciales secondes et que je récapitule ici :
Le PFD présenté aux pilotes juste avant la panne, à H - 1 s :
•
à H + 0 s : les 3 sondes Pitot se sont obturées, peu ou prou.
• à
H + 1 s :
- le Pilote Automatique s’est désengagé.
- le klaxon associé au PA a retenti : « Cavalry Charge ».
- l’indication AP au PFD (FMA) est passée rouge.
- un message AUTO FLT AP OFF a dû apparaitre à l’ECAM (le BEA n’en dit rien)
- l’avion s’est incliné et est parti en virage à droite (non commandé)
- le Master Warning a dû flasher Rouge et son gong a dû retentir (Single Chime)
- 4 croix ambres ont dû apparaittre sur les horizons artificiels gauche et droit
- un drapeau rouge SPD LIM rouge s’est affiché à côté du bandeau des vitesses
- des vitesses caractéristiques ont disparu (ex VLS)
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à H + 2 s :
- le Pilote a appuyé sur le bouton de l’AP, annonçant sa prise du pilotage en Manuel, commandes au neutre.
- le klaxon « Cavalry Charge » s’est éteint
- le drapeau rouge AP au FMA a disparu
- le FD (Flight Director) a donné un ordre à cabrer et à incliner à gauche
- le pilote a envoyé un input à gauche pour contrer la mise en virage et un input à cabrer pour stopper la descente et remonter au niveau de vol de croisière en suivant les ordres du Directeur de Vol.
- THR LK a dû s’inscrire au FMA, de couleur ambre et clignotant
- Master Caution & gong Single Chime
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à H + 3 s :
- le FD s’est désengagé : drapeau rouge FD et disparition des barres de tendance
- disparition de l’information FMA 1 FD 2 au FMA (PFD)
- disparition des modes ALT CRZ & HDG au FMA (PFD)
- Master Caution & gong Single Chime
- l’altimètre a indiqué une descente (non commandée)
- le variomètre a confirmé la descente par un taux de - 600 ft/mn
- l’ECAM a présenté des messages de pannes :
— AUTO FLT AP OFF
— F/CTL ALTN LAW
(PROT LOST)
— MAX SPEED … 330/.82
— AUTO FLT
— REAC W/S DET FAULT
•
à H + 4 s :- l’alarme d’écart d’altitude s’est activée :
— gong C-Chord
—indications altimètres et variomètres changent de couleur, de vert à ambre et clignotent
- input Sidestick à droite pour contrer inclinaison à gauche
- inputs à cabrer, 1/4 à 3/4
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à H + 5 s :
- Master Caution & gong Single Chime
- ECAM : recomposition de l’écran et nouveau message de panne :
— AUTO FLT A/THR OFF
THR LRVERS …. MOVE
- arrêt du gong C-Chord
A cet instant voici fléchés en rouge tous les symboles qui ont été modifiés à l’écran de pilotage PFD en 5 secondes.
Il faut rajouter les alarmes sonores, Cavalry Charge, C-Chord et Single Chime.
Retenons les faits essentiels :
Un message a informé les pilotes d’une panne concernant les commandes de vol .
Dans le même temps, alors que les commandes étaient au neutre les instruments ont informé d’un départ en virage et d’une mise en descente.
Un autre message informait les pilotes que la poussée des moteurs était figée à sa poussée de croisière.
Les premières actions sur les commandes ont entrainé des réactions inhabituelles, exigeant beaucoup d’efforts pour les contrôler.
Une réflexion logique du pilote voudrait que cette déviation de la trajectoire soit le résultat de déplacements incontrôlés des gouvernes (ailerons, spoilers, profondeur, PHR) corroborés par le message de panne F/CTL affichée à l’ECAM
et les difficultés de pilotage.
Juste avant la panne l’avion volait à M .80, descendant avec la poussée réacteur figée à plus de 80 %, fatalement il a accéléré. De combien ?… M.84 … plus ?…
Un message ECAM a rappellé la limitation haute vitesse … M.82
L’avion est très instable aux ailerons, en descente approchant 400 ft sous le niveau de vol.
La conséquence de ce constat est une représentation mentale de la situation : L’avion est en virage, en descente, en accélération.
Une seconde plus tard, à H + 6 s va survenir un fait nouveau, capital : Alarme STALL !
Ne pouvant être associée en pure logique à une vitesse trop basse le pilote ne peut l’associer qu’à une alarme de décrochage haute vitesse.
La communauté des pilotes de ligne a découvert part les rapports du BEA, que cette situation ne peut pas être rencontrée sur A 330.
(BEA :page 45 § 1.6.10 Particularités sur la survitesse ) (Je n’ai rien trouvé dans la documentation Airbus A330 le relatant.)
En ce 1er juin 2009, cette menace était dans l’esprit de tous.
Le seul moyen de s’écarter rapidement de cette limite est de « casser » la vitesse : le pilote a cabré, progressivement, les enregistrements des accélérations verticales en témoignent.
A la lecture de ses instruments (altimètre et variomètre) il se croit en-dessous du niveau de vol, alors qu’en réalité il est au-dessus s’en écartant avec déjà un taux de montée très important du fait des particularismes du vol à haute altitude.
Par un coup de hasard malchanceux, cette alarme STALL intempestive s’est déclenchée à l’instant du passage à la valeur d’activation de l’alarme d’écart d’altitude supérieure, + 250 ft , masquant cette alarme car prioritaire, alors que l’avion s’écartait en montée au-dessus du niveau de croisière.
L’image mentale de la situation à cet instant est complètement faussée, d’une part par la présentation instrumentale, d’autre part par l’annonce de pannes sans aucun lien direct avec la panne d’origine, celle de sondes Pitot, mais orientant vers des pannes qui n’en sont pas vraiment..
La remarque du copilote « Qu’est-ce que c’est que ça ?… » témoigne du désarroi de l’équipage qui va aller croissant.
Ces 5 premières secondes ont été déterminantes.
Vous avez mis plusieurs minutes pour lire ce post, les pilotes ont eu 5 secondes pour ingurgité le flot d'évènements, réels et falsifiés.
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