Je profite d’un certain calme sur le forum pour réactiver ce fil sur l’accident del’AF447, Rio-Paris, afin que l’on ne l’oublie pas, et aussi parce que de nouveaux membres se sont inscris.
Je leur présente donc un résumé de mon point de vue sur cet accident, tiré de mon expérience passée de commandant de bord sur Airbus A320 et sur Boeing B777.
L’évènement qui s’est produit à bord de l’A330 a été soudain. La seconde d’avant la situation au cockpit était sans aucune gravité, représentative d’un vol de nuit dans le Pot-au-Noir, avec des variations de cap pour éviter des cellules orageuses.
Le BEA cible les pilotes : « les actions inappropriées sur les commandes déstabilisant la trajectoire ; «
S’il y avait eu actions appropriées il n’y aurait pas eu d’accident.
La question qui en découle et qui me parait essentielle devient : « Pourquoi les pilotes n’ont-ils pas fait ce qu’il fallait au moment où il fallait le faire ?… »
Lorsque le Pilote Automatique s’est désengagé, il s’est passé deux évènements extraordinaires : les instruments et alarmes ont indiqué que l’avion était parti en descente tout seul et s’était mis en virage tout seul, sans qu’aucun ordre n’ait été donné aux commandes de vol.
Bien évidemment les pilotes ont réagi en fonction de la représentation de cette situation lue aux instruments.
Or, celle-ci était fausse, trompeuse, car si l’avion était bel et bien parti en virage il était par contre resté en palier.
De ce fait croyant remonter à son niveau de vol le pilote l’a en réalité quitté, en montée.
A partir de là, la représentation mentale de la situation que s’en sont faite les pilotes était faussée, erronée.
Et à partir de cet instant il s’est passé une foule d’évènements qu’il est bien difficile de décrire car ils se sont superposés en un laps de temps très court, dont l’unité de mesure est la seconde, parfois le dixième de seconde.
Or pour l’analyse écrite, nous ne pouvons le faire que par des descriptions littérales successives.
Comment alors restituer la réalité de faits simultanés pour présenter une situation tellement difficile à gérer et dangereuse que des années plus tard, en pleine connaissance des faits, aucun équipage d’essai n’a osé aller la reproduire.
Le BEA a accusé les pilotes : « la non identification par l’équipage de l’approche du décrochage … »
Il n’y a que 3 moyens d’identifier l’approche du décrochage :
• Deux instruments de pilotage : l’anémomètre (mesure de la vitesse) et l’incidencemètre (mesure de l’angle entre l’aile et les filets d’air)
• Le retour d’effort, sensation physique sur les commandes de vol qui permet au pilote de prendre conscience d’une variation de la vitesse. (ici une décélération)
Dans le cas de l’AF447, les pilotes ont été privés de ces 3 moyens d’identifier la limite basse du domaine de vol, le décrochage.
Alors que, dans ce même laps de temps, notamment dans les toutes premières secondes, de nombreux systèmes de l’avion ont été défaillants.
On ne manquera pas de rappeler à juste titre qu’il y avait 3 horizons artificiels qui fonctionnaient parfaitement bien et qu’il suffisait de revenir aux bases du pilotage, une assiette, ailes horizontales et une poussée réacteur adaptées pour sauver la situation.
Il suffit de le dire, il suffisait de le faire.
Pourquoi 2, puis 3 pilotes qualifiés, expérimentés ne l’ont-ils pas fait ?
Toute l’analyse est là, dans la recherche des faits qui ont entrainé la catastrophe.
Pour cela il faut oublier que l’on sait. Il faut oublier que l’on connait la cause et les raisons de cet accident. Il faut approcher l’analyse pas à pas, à la seconde.
Si l’on regarde les schémas que j’ai présenté ici : Point 1 - La chaine anémométrique, on constate à l’évidence qu’une information de vitesse faussée au sortir de la sonde Pitot va alimenter de paramètres faux tous les systèmes à l’autre bout de la chaine. Lesquels systèmes étant alimentés par des paramètres faux vont soit se déclarer en panne, soit produire des fonctionnements aberrants, puis parfois se ré-activer correctement en fonction des séquences de givrage-dégivrage des sondes Pitot, de la durée des obstructions, de l’intensité des bouchages, différents d’une sonde à l’autre …
Il ne faut pas perdre de vue qu’il n’y a eu que 45 secondes entre le début de l’évènement et l’entrée de l’avion en décrochage.
En résumé, le cas extraordinaire de l’AF447 devrait être scindé en deux parties :
1 - L’absence de moyen d’identification de la limite basse du domaine de vol alors que la règlementation impose 3 chaines de mesure de la vitesse indépendantes, des mesures de l’incidence, et le retour d’effort aux commandes de vol.
2 - L’analyse, point par points, instant par instants, de la conjonction des évènements qui se sont précipités dans le cockpit de l’AF447 dans les 45 premières secondes et qui ont conduit au décrochage de l’avion.
C’est ce que j’ai essayé de faire ici : AF447 : un accident d'une extraordinaire complexité
Pour ceux qui ont été ou qui seront intéressés, bonne lecture ou bon devoir de vacances !…
Les autres peuvent zapper.