"... Le groupe risque désormais une amende pouvant aller jusqu'à 30 % de son chiffre d'affaires. Soit, théoriquement, 20 milliards d'euros. En attendant, il est à craindre que certains secrets de fabrication et de commercialisation d'Airbus, comme la liste, les contacts et les besoins de ses grands clients, ont déjà passé la Manche, et l'Atlantique. Après tout, le Patriot Act américain autorise les services de sécurité américains à accéder aux données informatiques détenues par les entreprises américaines, sans autorisation préalable et sans en informer les utilisateurs. Airbus y contribue aussi en utilisant depuis juin 2017 les services de Palantir, entreprise de traitement de métadonnées en flux, financée par le fonds de la CIA, In-Q-Tel.
Intérêt général
Or, on soutiendra ici que non seulement l'époque, mais aussi l'exécutif français ont changé. Ce qui était acceptable hier - un certain esprit de démission, une lâcheté brouillonne, une primauté aux intérêts personnels sur l'intérêt général, une crainte et fascination de l'Amérique - ne l'est plus aujourd'hui. La réaction se joue précisément autour d'Airbus. Que faire ?À lire aussi
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D'abord, ce que les Anglo-saxons appellent le « tit-for-tat » : un prêté pour un rendu. En attendant un Patriot Act à la française, l'arsenal juridique français existe pour déployer une extraterritorialité de notre droit, là où les personnes physiques et morales françaises sont lésées (articles 113-7 et 113-8 du code pénal). Chez Airbus, on souligne le recours systématique des concurrents mondiaux, en particulier britanniques et américains, aux pratiques visées par les lois anticorruption. La seule différence étant visiblement une différence d'échelle : dans ce domaine, les Européens verraient moins grand que leurs concurrents anglo-saxons.
Pour équilibrer le dialogue à venir, il est grand temps que le parquet national financier ouvre des enquêtes équivalentes concernant Boeing, British Aerospace, Lockheed Martin, Northrop Grumman, General Dynamics ou Raytheon, pour commencer par les acteurs les plus significatifs. Des enquêtes, et des moyens d'investigation et de sanction appropriés. La justice française, depuis peu, commence enfin à faire peur, en termes d'amendes prononcées - 1,1 milliard d'euros de caution dans l'affaire de fraude fiscale d'UBS.
Autonomie stratégique
Ensuite, les premiers actionnaires d'Airbus, à savoir les Etats allemand, espagnol et français, doivent, d'une manière ou d'une autre, reprendre le manche d'une affaire qu'ils ont laissé partir à la dérive. A l'évidence, le conseil d'administration d'Airbus, qui soutient unanimement Tom Enders , n'a pas joué son rôle de garant des intérêts des Etats-actionnaires. Les scandales des enquêtes pour corruption ont éclipsé celui, plus grave à bien des égards, de l'A400M. Retards, dépassements de budgets, incapacité à délivrer. Le coût, en termes d'opérabilité et d'autonomie stratégique pour les armées françaises devant systématiquement recourir à des locations de matériels américains équivalents pour l'envoi de troupes, est incalculable. Le même scandale pointe avec les retards et la faible disponibilité des hélicoptères NH90 pour la marine française.La reprise en main d'Airbus par les Etats européens ne peut pas être un acte isolé, de panache. Mais bien le début d'une nouvelle politique : celle qui consiste à redonner aux Etats et aux entreprises stratégiques européennes les moyens de leur autonomie, en particulier par rapport aux puissances étrangères, alliés américains et britanniques inclus. Dans le monde d'hier comme dans celui qui vient, ceux qui auront abdiqué leur souveraineté - numérique, économique, militaire - seront vassalisés. La France d'Emmanuel Macron et l'Allemagne d'Angela Merkel peuvent avoir ensemble une autre ambition, et un autre management, pour Airbus comme pour l'Union Européenne."